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Ce que Washington ne comprend pas au sujet de l’Iran

Les responsables politiques ne parviennent pas à comprendre la manière d'opérer du système politique iranien
Par Lincoln P. Bloomfield et Jr. Ramesh Sepehrrad*
Le 31 mai 2016

Occultée par une campagne présidentielle américaine tumultueuse, l'une des préoccupations majeures en politique étrangère - la future attitude des Etats-Unis envers l'Iran - se trouve à un tournant. Dans un discours prononcé en septembre 2013, à la tribune de l'Assemblée générale des Nations Unies, le Président Obama déclarait : « si nous pouvons régler la question du programme nucléaire iranien, cela sera une étape majeure dans la longue voie vers de nouvelles relations, des relations fondées sur les intérêts et le respect mutuels. » Toutefois, les déclarations du Guide Suprême Ali Khamenei et les mesures prises par les autorités iraniennes, qui font suite à l'accord signé en Juillet 2015, ne montrent que peu de signes d'une plus grande reconnaissance des intérêts américains.

« Il est désormais clair [...], qu'un an après que le cadre de l'accord ait été trouvé, l'Iran y voit une opportunité de renforcer les hostilités dans la région. », écrivait l'ambassadeur des Émirats Arabes Unis aux Etats-Unis, Yousef al-Otaiba. Sur le plan national, le nombre de prisonniers exécutés est à son niveau le plus élevé depuis vingt ans. Pourtant, la victoire des « modérés » aux dernières élections législatives et de l'Assemblée des Experts - tout comme à celle du Président Hassan Rohani en Juin 2013 - a généré aux Etats-Unis de nombreux commentaires d'experts en politique, interprétant ces résultats comme un changement significatif qui prendrait place en Iran.

Dans son discours du 5 avril au Sénat américain, le Sous-Secrétaire d'État Thomas Shannon attestait que « la mesure dans laquelle les réformateurs... ont remporté les élections » parlementaires à Téhéran « soulignent le fait que le Président Rohani, et son intention d'ouvrir l'Iran au monde et de surmonter ses principaux obstacles, sont accueillis de manière favorable. Le Sous-Secrétaire Shannon soulignait la difficulté d'anticiper l'impact de ces résultats électoraux sur « la manière dont l'Iran opérerait stratégiquement » car, comme il l'expliquait, l'Iran est « une mosaïque de groupes et d'entités conflictuelles, comprenant des extrémistes qui s'alignent à la fois sur des chefs religieux...et militaires, pour éviter aux réformateurs d'avancer trop vite, trop loin ». Une partie du travail du Guide Suprême est de « garantir un équilibre des forces à l'intérieur même de l'Iran », dit M. Shannon.

Les querelles et la surenchère politique pour le statut et l'influence prennent assez naturellement place, tant parmi des responsables de régimes démocratiques que dictatoriaux, y compris en Iran. La question clé à laquelle le Sous-Secrétaire Shannon ne pouvait répondre de manière tranchée était de savoir si les régimes politiques accepteraient un jour un vrai changement dans le comportement « stratégique » iranien. Ses remarques reflètent, néanmoins, une certitude des responsables et des conseillers politiques quant au fait que le cercle clérical au pouvoir depuis la Révolution de 1979 soit capable d'entreprendre une action politique propice à réformer l'Iran et à conforter la vision optimiste du Président Obama, s'assurant ainsi de l'attention et de l'indulgence de son administration envers Téhéran.

Des décennies passées à la poursuite d'une promesse de réforme inatteignable

Les responsables politiques américains ont traversé des périodes d'espoir et de désillusion avec Téhéran. Après avoir été secoué par un scandale au milieu des années 1980, lorsque les négociations du Président Reagan pour la libération des otages furent dévoilées, les responsables américains anticipèrent des changements positifs en Iran avec la victoire d'Akbar Hashemi Rafsandjani aux présidentielles de 1990, qui promettait de relancer une économie affaiblie par huit ans de guerre contre l'Irak. Mais les attaques terroristes qui s'en suivirent en Allemagne et en Argentine, ainsi que les assassinats d'opposants politiques en exil, ont immédiatement ramené Rafsandjani à Khamenei. Le 25 juin 1996, l'attentat des tours de Khobar en Arabie saoudite a tué dix-neuf pilotes américains, alors que l'administration Clinton maintenait sa politique de « double endiguement » à l'égard de l'Iran et de l'Iraq, appuyée par d'importantes sanctions.

Lorsque Mohammad Khatami arriva au pouvoir en 1997 et appela au « Dialogue des Civilisations », Washington jugea à nouveau qu'il était un interlocuteur responsable, soulignant ainsi le recul d'un Iran répressif sur le plan interne et terroriste sur le plan externe. La vague d'oppression qui suivit dans le pays, notamment ce qui fut ensuite connu sous le nom de « meurtres en série » d'opposants politiques par le Ministère du Renseignement, fut largement considérée comme une réaction extrémiste à l'agenda de Khatami. Malgré tout, pour le peuple iranien, les espoirs de réforme sous Khatami ont fait place à la « crainte d'un avenir plus sombre ».

Même le fait que le programme nucléaire iranien se soit développé secrètement sous la présidence de Khatami ne remettrait pas en doute la conviction de Washington selon laquelle des éléments progressistes dans la haute sphère iranienne la porteront un jour au pouvoir, aussi impatient de voir l'Iran respecter les normes internationales et les droits universels que les gouvernements et les citoyens occidentaux.

D'après la plupart des spécialistes de l'Iran présents aux assemblées à Washington, deux axes se dégageraient. Premièrement, toute référence faite à l'Iran en tant qu'État et principal parrain du terrorisme, aux violations des droits de l'Homme ou aux activités destructives du Corps des Gardiens de la Révolution Islamique (CGRI) sur son territoire, y compris de sa force d'élite Qods, sera immédiatement connue et rejetée d'un revers de main. Ce n'est pas récent: l'Iran a, depuis des années, été sanctionné pour cela. Dès lors qu'il n'y a rien de nouveau là dedans, mais que seuls des bellicistes non éclairés pourraient rabâcher ces aspects des affaires iraniennes qui, tout en étant condamnables, ne font que freiner les perspectives d'évolution de la politique des Etats-Unis envers l'Iran. Deuxièmement, le sujet qui intéresse les spécialistes en politique, et qui correspond aux aspirations de la Maison Blanche d'Obama, est le va-et-vient dynamique des factions politiques dans les cercles dirigeants iraniens : « conservateurs » versus « réformateurs », « conservateurs » versus « modérés », le groupe extrémiste de Khamenei versus celui de Rafsandjani qui cherche à davantage intégrer l'Iran au reste du monde. À un moment où l'élection présidentielle américaine présente elle-même des candidats réveillant un mécontentement populaire envers les élites politique et économique du pays, la couverture médiatique des récentes élections en Iran - incitée par la propre rhétorique de l'administration - est venue amplifier le sujet de la rébellion dans les urnes. Compte tenu du manque de détails donnés sur la manière dont l'Iran a géré le processus électoral, l'Américain moyen serait légitimement à même de penser que 79 millions de citoyens iraniens ont pu exercer librement leur souveraineté.

L'attitude injustifiée de l'Iran - autres que les actions considérées comme d'éventuelles violations du Plan d'Action Global Commun (PAGC) - est soulignée, sans être débattue, la communauté politique n'étant pas convaincue que cela pousserait les organes du régime à lutter contre le terrorisme, contre les opérations paramilitaires, l'abus du pouvoir judiciaire, le monopole des actifs économiques et financiers, les restrictions qui pèsent sur les médias, la surveillance et la censure des communications, le trafic d'armes entre acteurs non étatiques et violents, contre les opérations de propagande et de faux renseignements. Ce type d'actions iraniennes néfastes, qui se déroulent depuis maintenant quatre décennies, ne cesse de se poursuivre malgré l'accord sur le nucléaire. Pourtant, une plus grande attention est portée au Président Rohani et au Ministre des Affaires Étrangères Mohammad Javad Zarif - figures phares dans le mouvement d'ouverture diplomatique de Téhéran à l'Occident - en ce qu'ils sont perçus comme des acteurs enclins au changement et qui pourraient, finalement, mettre un terme à cette situation.

L'espoir de l'administration est-il justifié ou inopportun ? Compte tenu de l'importance des factions au sein de l'élite cléricale iranienne, les conséquences de ces dynamiques, comme de tant d'évènements de l'histoire iranienne post-1979, apportent des arguments valables au débat. Ce-dernier est nécessaire, comme le soulignait le Président Obama qui présentait l'année dernière son projet diplomatique avec l'Iran comme un fait accompli, accusant tous les opposants d'entretenir la guerre. Est-ce politiquement maladroit de laisser penser que ni le Guide Suprême Ali Khamenei, ni l'ancien président Rafsandjani, pourraient influencer les tendances rivales au sein des structures gouvernantes au point de porter d'autres forces politiques au pouvoir et de déstabiliser le leur ? Le fait que les « réformateurs » cléricaux influencent stratégiquement un changement significatif n'a-t-il pas été démontré ?

L'enjeu politique principal - à savoir dans quelle mesure un réel changement peut s'opérer en Iran - n'a pas été sérieusement examiné. L'essentiel de l'énergie de l'administration et de son entourage a été consacrée à la défense du PAGC, contre des opposants politiques dont ils considèrent la connaissance des affaires iraniennes comme étant inférieure. L'un des conseillers principaux du Président Obama a récemment admis que l'explication de l'administration « d'une nouvelle réalité politique en Iran, émanant de la victoire des modérés aux élections... fut largement formulée dans le but de [sic] conclure l'accord ».

Cependant, en soulignant les défis réformistes lancés à l'ordre conservateur ainsi que les « bouleversements » électoraux, les experts en politique prennent conscience des divergences au sein du régime, et des tensions entre gouvernants et gouvernés en Iran. À quelle direction et à quel scénario les Etats-Unis devraient-ils alors s'attendre ? Avec le changement de président américain en 2017, une meilleure compréhension des défis, de ses priorités et de ses choix du régime de Téhéran, est désormais nécessaire à l'émergence d'une politique iranienne « post-PAGC » réaliste, raisonnée et orientée vers l'avenir.

Des indices ignorés de l'histoire du régime

Les Américains d'un certain âge sont habitués aux images de l'Iran depuis 1979, sur lesquelles ont peut voir des foules qui se rassemblent pour chanter « Mort à l'Amérique » ; les nouvelles rapportées ces dernières années ont souligné l'existence d'une contestation du statut quo, qui se manifeste par l'apparition et la répression du Mouvement Vert lors des élections de juin 2009, et par les manifestations populaires contre la fraude électorale qui s'en suivirent, lors desquelles l'étudiant en philosophie de 26 ans, Neda Agha-Soltan, fut tué par balle dans les rues de Téhéran par les forces du régime. Mais la réalité qui se cache derrière ces évènements mérite une attention particulière.

Dans un système où l'autorité politique est permanente et non-négociable, le rapport qui est fait des évènements, tant passés que présents, est étroitement contrôlé par les gouvernants, représentant un outil essentiel à la survie du régime. Avec l'appel habile du Ministre des Affaires Étrangères Zarif à l'opinion publique occidentale, dans lequel il défend un Iran pacifique et respectueux du droit international, et dans lequel il déplore une victimisation injuste par « des menaces, des sanctions et une diabolisation » de la part des Etats-Unis en particulier, on ne peut qu'imaginer l'impact qu'ont eu trente-sept ans de contrôle des médias sur le peuple iranien, malgré l'arrivée d'internet et de la télévision par satellite.

Aujourd'hui en Iran, où la loyauté des candidats à la présidentielle est étroitement surveillée, et où la dissidence manifeste est sévèrement réprimandée, il n'y a aucune appréciation crédible de l'attachement de la population, ou de son désir de se libérer du califat constitutionnel élaboré en 1979 par l'Ayatollah Khomeini. La fusion du politique et du religieux mise en œuvre par ce-dernier par le biais d'une nouvelle constitution établissant la « tutelle du juriste islamique » (velayat-e faqih) se basait sur la dévotion religieuse des musulmans d'Iran en tant que justification de son exercice du pouvoir temporel. Pour beaucoup d'Iraniens à cette époque, musulmans compris, la dictature religieuse était bien loin de la démocratie participative à laquelle ils s'attendaient après avoir souffert des excès su shah.

Confronté à une résistance croissante, au cours du printemps 1981, ayant donné lieu à d'importantes manifestations pro-démocratie dans l'ensemble du pays, invoquées par le chef de l'OMPI Massoud Rajavi, le 20 juin (soit vingt-huit ans avant le jour où Neda trouva la mort dans des circonstances similaires), le règne de Khomeiny était assuré par la menace des armes, poussant Abolhassan Bani-Sadr, premier et unique président a avoir été élu librement, à la clandestinité et à l'exile permanent. Ce tragique épisode fut décrit par l'historien Ervand Abrahamian comme un « règne de la terreur », et fut nommé « campagne de boucherie » par le Professeur Marvin Zonis.

Le Président Obama a fait une vague référence aux « théocrates qui ont renversé le shah », référence qui reflète une opinion partagée par les analystes et les journalistes en Amérique. La réalité est que, à la fin des années 1970, le Shah perdit son mandat aux yeux d'une importante partie de la population iranienne, et que son départ déclencha un brusque sursaut de compétition électorale, alors même que Khomeiny avait besoin que les candidats acceptent sa formule d'amendement constitutionnelle qui plaçait l'autorité religieuse au-dessus de la politique. Comme l'a décrit le Professeur Abrahamian, l'incompatibilité entre principes démocratiques et velayat-e-faqih étant de plus en plus évidente, le régime était « clairement en train de perdre le contrôle des rues ». Ce que les iraniens savent tous trop bien aujourd'hui, et dont une meilleure compréhension bénéficierait aux Américains, est que les « théocrates » ont pris le contrôle de l'Iran non pas en faisant tomber le Shah mais en mettant un terme à la révolution.

La mauvaise connaissance de l'histoire n'est pas la seule chose à ne pas avoir été corrigée. La diplomatie de l'administration Obama envers l'Iran a donné lieu à des spéculations, selon lesquelles des gestes de la part des Etats-Unis - si ce ne sont pas des excuses pures et simples, c'est au moins la reconnaissance des erreurs du passé - serait étendu pour se racheter du souvenir laissé par la CIA qui, en 1953, déposa le Premier ministre nationaliste Mohammad Mossadegh. Téhéran l'a, en effet, souvent revendiqué. Or, pour rétablir la vérité historique, un représentant du Guide Suprême devrait apposer sa signature sur un tel mea culpa, à côté de celle d'un représentant du Président, reconnaissant par là le fait que les clercs dirigeants à l'époque, y compris l'Ayatollah Abol-Ghasem Kashani, mentor de Khomeiny, se sont ouvertement associés à la dynastie Pahlavi et soutenus la destitution de Mossadegh. Ensuite, Kashani accusa Mossadegh d'avoir abandonné le jihad, et dit qu'il méritait la peine de mort. Quant à Khomeiny, il fut lui-même satisfait de la chute de Mossadegh. Là encore, les clercs ont su enjoliver leur rôle dans l'évolution politique difficile de l'Iran à la gouverne de l'Occident.

Juin 1981 : un événement dramatique de l'histoire politique de l'Iran moderne - probablement le deuxième plus grave après la chute du Shah - permet de comprendre pourquoi les clercs ont répondu si brutalement au défi posé par le Mouvement Vert et par le retour en masse des citoyens dans les rues en 2009, réclamant une transparence démocratique. Le processus électoral, fermé et truqué, n'était pas l'unique raison du mécontentement : très tôt, les forces fondamentalistes de Khomeiny avaient ciblé les universités d'Iran et leur « révolution culturelle » et prévu de faire taire les critiques de gauche, dont les appels parmi les étudiants et les intellectuels avaient amplement souligné leur absence de légitimité politique.

Malgré leurs vastes efforts pour empêcher la dissidence intellectuelle, le flambeau de la résistance anti-autoritariste fut transmis dans les années 1980 à la génération suivante, et resurgit lors de protestations publiques au mois de juillet 1999. Le peuple est descendu dans la rue après que les forces du régime aient interdit un journal étudiant - forces qui auraient en outre violemment attaqué une résidence à l'Université de Téhéran et jeté des étudiants par les fenêtres.

Dès lors, la peur de « la rue » fut certainement un moteur de l'intervention couteuse (et continue) de l'Iran en Syrie après que les premières manifestations du Printemps Arabe pro-démocratique s'y déroulèrent en 2011. Plus que tout autre partisan du conflit syrien, l'Iran est reconnu pour son soutien à la dictature laïque minoritaire au pouvoir, s'opposant ainsi à la volonté du Président Obama de voir Bachar al-Assad partir, mais aussi de voir une résistance syrienne déterminée bien que mal équipée, et des soutiens de l'ONU pour instaurer un processus de réconciliation nationale permettant une transition politique.

De la même manière, en Iraq, le soutien actif de la Force al-Qods aux partis et aux milices shiites - qui procéderaient « à des enlèvements et à des meurtres, et qui restreindrait le mouvement des citoyens arabes sunnites » - est venue entraver les efforts du pays à mettre en œuvre un système constitutionnel multiethnique, et a également compromis une unité nationale déjà fragile en Iran.

L'Etat islamique peut être une inquiétude pour l'Iran, mais le fait que des républiques constitutionnelles multiethniques viennent remplacer les dictatures baathistes en Syrie et en Iraq en serait une plus importante encore. Pour Téhéran, la possibilité qu'un Printemps Arabe se propage à l'Est et provoque un nouveau Printemps Perse était, et reste à ce jour, un danger permanent au maintien de la République Islamique au pouvoir, à éviter à tout prix.

Le manque de légitimité qui se cache derrière la revendication du pouvoir par les mollahs reste un élément manquant dans la compréhension par Washington de la révolution iranienne, et négligé lors de la crise des otages. C'est peut-être une raison du manque de réflexion pour contester, par exemple, la justification du régime de sa guerre de huit ans contre l'Iraq de Saddam Hussein, ne posant jamais la question de savoir pourquoi Khomeiny, après avoir récupéré, à la mi-1982, tout le territoire iranien pris par l'Iraq en 1980, a prolongé la guerre de six années, durant lesquelles l'Iran a essuyé 90 pourcents de ses pertes et affaibli son économie.

Tout comme la crise de l'ambassade américaine en 1979 avait autorisé les clercs à lutter contre les revendications des forces politiques, la guerre avec l'Iraq a offert au Guide Suprême un mandat pour intervenir et réprimer la dissidence interne croissante, pour imposer des conditions religieuses et culturelles, et pour s'accaparer de toutes les ressources nécessaires à la sauvegarde de la primauté et du contrôle du régime. Tandis que, dans les années 1980, tout écolier et tout adulte iraniens étaient nourris par ce chauvinisme justifiant ces sacrifices extrêmes, le rôle de Khomeiny dans le prolongement de la guerre n'est jamais, et d'aucune façon, évoqué par des iraniens de manière favorable.

Un même manque de scepticisme a laissé les dirigeants américains sans la moindre idée de pourquoi un hojatoleslam - un clerc au statut religieux bien inférieur à ceux des autres à cette époque - devint finalement le successeur choisi de Khomeiny en tant que Guide Suprême, à la place du Grand Ayatollah Hossein Ali Montazeri, très respecté ; sans une bonne explication de la raison pour laquelle l'Iran choisit de poursuivre ses investissements dans de vastes infrastructures nucléaires plutôt que dans des alternatives énergétiques plus accessibles et plus rentables, compte tenu de ses maigres réserves d'uranium ; et sans la moindre réflexion sur ce qui a pu mené l'Iran, hormis les sanctions financières contraignantes, à la table des négociations avec les pays du P5+1.

De la même manière, personne à Washington n'a pensé que des raisons autres que des transgressions de la loi se cachaient derrière l'arrestation et l'emprisonnement du correspondant du Washington Post, Jason Rezaian - ou ne s'est interrogé sur ce que le régime espérait cacher en interdisant à des correspondants occidentaux l'obtention de visas pour tourner des reportages en Iran à cette époque. Un indice peut se trouver dans une histoire qui a refait surface, celle d'un autre otage américain, un ancien de la CIA, Robert Levinson (toujours détenu en Iran), à qui les iraniens auraient proposé via le gouvernement français, en 2011, d'être libéré en échange de conclusions, dans un rapport imminent de l'AIEA, qui insisteraient sur le caractère « pacifique » du programme nucléaire iranien.

Cette approche simpliste des affaires iraniennes par les Etats-Unis n'a pas été aidée par ce que l'on pourrait désigner d'autocensure de la part des médias et des correspondants occidentaux, qui savaient qu'ils seraient bannis d'Iran si leurs reportages déplaisaient au régime. La politique des Etats-Unis a trop longtemps réagi aux mots et aux actions du gouvernement iranien sans suffisamment comprendre la nature même de cet important acteur international.

La « mission première » du régime : garder le contrôle

À ses débuts, celui qui succèdera à Khomeiny en tant que Guide Suprême en 1989, Ali Khamenei, travailla main dans la main avec Rafsandjani pour mettre en œuvre la doctrine du bast (expansion) et du hefz (préservation), dont les deux pans assurent la pérennité de la révolution islamique. Leur travail était au cœur du projet de velayat-e faqih de Khomeiny. Tandis que les deux hommes sont aujourd'hui font partie de tendances politiques contradictoires et loyalistes, le bast et le hafz restent les principes fondamentaux de la République Islamique d'Iran.

Ce que Washington décrit en des termes strictement factuels - la déstabilisation des pays voisins, le fait de soutenir à Damas un dictateur coupable de graves crimes contre son pays, d'armer des acteurs extrémistes non étatiques, d'alimenter le conflit sectaire qui anéantis le peu d'espoir d'avoir en Iraq un régime fondé sur le respect des droits de l'Homme - ce que, à Téhéran, les clercs appellent bast. La Révolution, dit Khomeiny, requiert d'importants efforts pour promouvoir l'agenda de Téhéran bien au-delà des frontières du pays.

De façon similaire, l'accroissement clandestin et provocant de la capacité d'enrichissement en uranium de l'Iran, et les « possibles dimensions militaires » de son programme nucléaire, associé à la condamnation des violations croissantes des droits de l'Homme, aux restrictions imposées aux journalistes, à la surveillance et à la propagande imposées à l'information, et au contrôle du fonctionnement de l'économie - tout cela, et d'autres mesures nationales vont dans le sens de la doctrine du hefz. Pour conserver sa place, le régime doit monopoliser les leviers du pouvoir à l'intérieur du pays.

Deux des représentants du velayat-e faqih depuis les débuts du mandat de l'Ayatollah Khomeiny, Ali Khamenei et Hashemi Rafsandjani comprirent, comme d'autres, la nature dynamique de l'entreprise révolutionnaire. Tous deux reconnurent que la République Islamique ne survivrait pas longtemps sans exiger son respect en permanence et sans continuer d'accroitre son influence à l'extérieur, sans exiger des sacrifices et sans imposer un asservissement au niveau national. En 1989, après qu'Ali Khamenei ait succédé à Khomeiny, Rafsandjani travailla main dans la main avec le nouveau Guide Suprême afin de renforcer l'autorité de la présidence, compensant ainsi son manque de stature politique et de charisme religieux.

Le velayat-e faqih a toujours opéré sur deux fronts. Au niveau domestique, il s'est efforcé de faire de la propagande pour le chef de la révolution, ne cessant de promouvoir l'autorité de son parrain « héroïque », l'Ayatollah Khomeiny. La propagande est utilisée pour rallier et pour unifier les Gardiens de la Révolution, pour mobiliser les forces paramilitaires telles que le Basij autour des mesures de répression, et pour organiser le secteur religieux dans tout le pays, conformément aux directives politiques, pour les prières du vendredi.
À l'international, le bureau exporte le discours du leadership à propos des musulmans shiites de la région, et du monde islamique en général. Le refrain de Khomeiny qui dit que la nouvelle république islamique devrait conquérir « Qods via Karbala » souligne clairement son ambition d'user d'une influence qui dépasserait les frontières de l'Iran. Avec l'incarnation du Douzième imam succédant au Prophète Mahomet, le Guide Suprême de l'Iran lance un défi au monde sunnite, en revendiquant le lieu le plus sacré de l'Islam, défiant ainsi le roi Saoudien (« Gardien des deux Mosquées Saintes » à La Mecque et à Médine) et les Hachémites de Jordanie, qui se placent dans la lignée du Prophète et qui sont considérés comme les protecteurs de la mosquée Al-Aqsa à Qods (Jérusalem), le troisième lieu saint de l'Islam.

Dans ses deux dimensions, interne et externe, le projet révolutionnaire de Khomeiny a déconcerté l'Occident dans sa compréhension de celui-ci, et dans sa volonté d'engager des relations diplomatiques fiables. Pourquoi le régime clérical a-t-il, dès ses débuts, brisé les élans démocratiques dans le pays et lutté contre les incursions de l'Iraq sur leur frontière commune, visé de manière récurrente les armées, les ambassades, les otages et les passagers américains et européens, à partir du Liban ? Quel était l'intérêt d'armer et de soutenir des milices non-étatiques agissant par procuration à l'étranger et de mettre en scène des actes terroristes spectaculaires jusqu'en Argentine ?

Tandis que l'abus du privilège de souveraineté - en entreprenant des opérations de terreur dissimulées par l'immunité et le secret diplomatique dans des capitales telles que Ankara, Damas, Bonn et Buenos Aires - a longtemps fait de l'Iran un violeur du droit et des normes internationales, ces actes hostiles à l'étranger sont davantage compris pour leur influence attendue sur l'unité du régime et pour la loyauté de ses soldats, comme des illustrations de la doctrine bast de Khomeiny, et de sa théorie unique du pouvoir à travers l'extrémisme religieux, mise en œuvre au détriment du système Westphalien.

L'objectif principal de la communauté internationale dans ses relations avec Téhéran - obtenir son respect des normes de conduites d'un État, dont le respect des droits universels sur son territoire - est justement ce que la République Islamique ne pouvait consentir. L'accélération du bast et du hefz depuis 2013 sous le Président Rohani, en même temps que l'Iran recueillait la sympathie de la communauté internationale, la levée des sanctions économiques et la reconnaissance juridique de ses droits nucléaires à la table des négociations, a pu être une réponse au mécontentement populaire en Iran. Ce n'était cependant pas un geste témoignant d'une quelconque réforme adaptée aux principes et aux idéaux américains.

Des signes d'échec et de désespoir

Il serait justifié, et cela devrait être au cœur du débat politique aujourd'hui, de dire que la politique de l'Iran au Moyen-Orient est encore assez éloignée des exigences doctrinales de Khomeiny qui appelle à l'exportation de sa révolution et à la domination du monde musulman sur le monde occidental, et sur les Etats-Unis en particulier. En 2016, une grande partie du monde musulman rejette le caractère révolutionnaire de l'Iran. Même les cinquante-sept membres de l'Organisation de la Coopération Islamique ont formellement « déploré l'interférence de l'Iran dans les affaires internes des États de la région et d'autres États membres... et son soutien continu au terrorisme ».

À l'exception de la dictature laïque en Syrie et de certaines factions chiites en Iraq, les États voisins de l'Iran continue de défier Téhéran et de résister à ses prétentions à exercer une hégémonie religieuse. Les tentatives de Téhéran pour influencer les populations chiites présentes dans les États arabes du Golfe n'ont fait que détériorer ses relations avec ces gouvernements, qui s'abstiennent à ce jour de s'immiscer au nom de 18 millions d'Iraniens sunnites, pour qui les mollahs ont refusé la création de mosquées. Les personnalités influentes du Chiisme, dont l'Ayatollah Sistani en Iraq, n'acceptent ni d'adhérer au système du velayat-e faqih ni d'approuver la primauté de Khamenei sur les musulmans. Le fait que l'Iran finance, entraine et sponsorise des factions militaires en Iraq, en Syrie, au Yémen et en Afghanistan pourrait être à la fois considéré comme un effort en vain que comme un effort gagnant par les propres indicateurs du régime.

Les coûts de ces campagnes, particulièrement des victimes parmi le CGRI et la Force al-Qods, qui se sont battus pour reconstituer leurs rangs et leurs cadres dirigeants venus de la jeune génération d'aujourd'hui, s'avéreront sans doute insoutenable dans le temps. Les récentes pertes qu'aurait subi le CGRI le long de la frontière irano-irakienne, et les revendications du Parti Démocratique du Kurdistan d'Iran et du Parti pour une vie libre au Kurdistan - selon lesquelles ils auraient récemment mis en œuvre une « résistance armée » contre la république révolutionnaire - renforce l'idée que l'élan de grandes croisades lancé par Khomeiny il y a trente-sept ans serait aujourd'hui en compromis. Le bureau du Guide Suprême a ainsi vu le programme nucléaire comme un moyen de palier aux efforts paramilitaires stériles de Téhéran - d'où le refus de Khamenei (sans véritable explication) que le PAGC prive l'Iran de sa dissuasion nucléaire. Ces dernières années, son bureau a prôné « l'esprit djihadiste » des scientifiques nucléaires iraniens dans leur volonté de résister aux puissances étrangères « semblables à un lion ». Avant cela, il évoquait le programme comme un aspect essentiel de « l'identité » et de « la dignité » de l'Iran, lors d'un discours ayant pour objectif de contrebalancer, et de cacher, l'affaiblissement du pouvoir de Khamenei au sein du pays et de la région.

Rappelons que le programme nucléaire commença sous la présidence Rafsandjani, qu'il fut institutionnalisé sous l'ère Khatami, et élargi à un programme multipistes sous la présidence Ahmadinejad. Quoi que pensent les analystes de Washington des élections de juin 2013, les clercs ont clairement indiqués, des mois à l'avance, qu'ils « concevraient » le processus électoral de manière à ce qu'Ahmadinejad l'emporte. L'attente de Khamenei vis-à-vis de son unique négociateur sur le nucléaire, Hassan Rohani, était qu'il exécute le programme en dépit des pressions internes et externes.

La recherche d'un accord sur le nucléaire comprenant la levée des sanctions par Rohani, loin de marquer un changement de politique par rapport au programme de Khamenei, fut pleinement soutenue par le Guide Suprême. Tandis que le P5+1 trouvait des arrangements afin d'empêcher et de déceler toute tentative de désengagement nucléaire de l'Iran à court-terme, les nombreuses déclarations de Khamenei concordent avec le résultat de l'approche diplomatique de Rohani, davantage envisagée comme un moyen pour la République Islamique de maintenir une posture de dissuasion nucléaire que comme une politique de confrontation et de mépris grandissants envers l'Occident.

Deux ans d'activité diplomatique intense - régulièrement rallongée, sans plainte d'aucune partie, ce malgré l'absence d'accord - par le régime, placé sous les projecteurs aux côtés des grandes puissances mondiales, a permis de rétablir l'image de l'Iran après une importante période d'isolement et de menaces de confrontations militaires et, oui, de souffrance économique dues au sanctions en question, à la chute du prix du pétrole et à une monnaie qui s'affaiblit en 2012. De telles considérations se cachent derrière le succès de l'Iran à être parvenu à imposer un caractère non contraignant au PAGC, dont la formulation et le mécanisme permettant de rétablir des sanctions sont complexes - le terme n'apparaît nul part -, ce qui permet de ne pas le présenter en Iran comme une concession.

Au même moment qu'il appelait publiquement à une « flexibilité héroïque » dans la politique de l'Iran, Khamenei avait pour objectif clair que Rohani et les négociateurs iraniens assurent un maximum de flexibilité pour poursuivre la militarisation du programme nucléaire, y compris du développement de missiles balistiques, comme l'ont montré les essais de Mars 2016. Pendant que les Etats-Unis répondaient en sanctionnant la force aérospatiale et balistique du CGRI, et que le Secrétaire Kerry suggérait un nouvel accord avec l'Iran afin de répondre aux préoccupations concernant les essais nucléaires, le Ministre des Affaires Étrangères Zarif jugeait ces plaintes « non-fondées » ; le Ministre de la Défense Hossein Dehghan les jugeait « absurdes ». Le commandant de la force en question prétendit quant à lui que le gouvernement américain aurait discrètement demandé à l'Iran de ne pas révéler ses essais nucléaires, vraisemblablement pour éviter de compliquer davantage les relations.

Préservation du régime ou changement interne ?

Si la stratégie iranienne, selon le Secrétaire Adjoint Shannon, n'est pas fondamentalement différente sous un gouvernement extrémiste ou « réformiste », que faire des différences factionnelles au sein du régime ? Khamenei s'est concentré sur le hefz et sur le maintien des programmes nucléaire et de modernisation militaire conventionnelle de l'Iran. Pour les réformateurs autoproclamés, y compris Rohani et Rafsandjani, la priorité est donnée à l'inverse. Selon eux, un assouplissement des sanctions internationales permettrait de mieux réfuter la pression du public et de mettre en œuvre de véritables réformes politiques pour, in fine, préserver le système de velayat-e faqih.

Rohani, tout comme Khatami avant lui, a plaidé pour une réforme nationale, bien que dominée par la répression. Même son plaidoyer de 2013, pour relaxer les leaders du Mouvement vert assignés à résidence et tous ceux qui furent emprisonnés à la suite des manifestations de 2009, est resté sans suite des années après. Bien que les fractures internes du régime apportent de l'espoir en Occident quant à un changement positif, cela reste à être prouvé.

La perception pérenne dans la communauté politique américaine selon laquelle « réformiste » est synonyme de vraie modération est ébranlée, par exemple, par le rôle du « réformiste » Mohammad Khatami en tant que Ministre de la Culture et de la Guidance Islamique au début de la guerre Iran-Iraq, lorsqu'il fit de la propagande pour inciter des enfants à se sacrifier en les faisant traverser des champs de mines avant les forces armées. Selon les estimations, quarante milles d'entre eux y auraient perdu la vie. Malgré la condamnation internationale de cette pratique, Khatami, dès 2007, a vanté les mérites de la jeunesse en temps de guerre pendant « les fières années de la Défense Sacrée ». L'utilisation d'enfants soldats par Téhéran semble désormais rétablie par son successeur « réformiste » Hassan Rohani.

Dans la plupart des discussions au sujet de la réforme et de l'amélioration de la vie du peuple, personne ne trouve aujourd'hui en Iran d'équivalent à la glasnost et à la perestroïka, pas de Deng Xiaoping clérical prêt à négocier une libération économique et sociale du peuple en échange d'une subordination politique permanente au Guide Suprême.

L'évidente ligne de fracture au sein du gouvernement en Iran, depuis maintenant des années, a été la divergence sur la manière de porter au mieux la République Islamique de Khomeiny, pas sur la manière d'y mettre un terme. Les désaccords quant aux priorités du régime ont resurgis au cours des dernières élections parlementaires, et davantage de factionnalisme et de rhétorique conflictuelle est prévisible dans l'arène politique. Toutefois, alors que la rivalité sur les priorités et les tactiques pour préserver le velayat-e faqih est devenue personnelle - et publique - pour les deux parties au fil du temps, et que certains individus ont modifié leurs alliances et se sont dotés d'une nouvelle image, la liste des chefs de files est restée étonnement constante.

Tandis que beaucoup passaient directement du patronage dit réformiste au conservateur, le moteur semblait être moins l'idéologie que la compétition pour les ressources et l'influence. Même les partisans du velayat-e faqih, tels que les frères Larijani, qui ont su gagner en importance au sein du parlement, du Conseil des Gardiens, du système judiciaire, de l'audiovisuel (IRIB) et du Ministère des affaires étrangères, sont regardés avec suspicion par Khamenei pour cette même raison.

Khamenei a survécu en s'entourant d'un cercle de conseillers fidèles de plus en plus restreint, qui comprend son propre fils Mojtaba qui dirige la Basij et surveille toutes les affaires financières qui sont hors de portée des sanctions. Certains ont supposé que Mojtaba se préparait à devenir le successeur de son père, soulignant ainsi les réticences de Khamenei quant au processus de transition politique de Khomeiny.
Ali Akbar Valayati, son conseiller aux affaires étrangères, occupait déjà le poste sous le Premier Ministre Mir Hossein Mousavi (leader du Mouvement vers, aujourd'hui détenu) et Hashemi Rafsandjani. Yahya Safavi, chef du CGRI, fut son conseiller spécial aux affaires régionales et a récemment vanté les mérites de « l'alliance » de l'Iran, la Russie, l'Iraq, la Syrie et le Hezbollah. Mojtaba Zolnour fut également son représentant au sein du CGRI, et a récemment affirmé que même si l'Iran en venait à abandonner son programme nucléaire, cela n'empièterait pas sur la « détermination de son pays à vouloir détruire Israël ». Mohammad Salimi, ancien Ministre de la Défense au sein du cabinet de Mir Hossein Mousavi, occupe aujourd'hui le poste de commandant de l'armée iranienne.

Si toutes les personnalités du régime se battent pour leur suprématie et leur influence sur la politique iranienne, toutes sont les membres fondateurs d'une entreprise dont l'objectif principal est leur survie collective au pouvoir. Les tendances actuelles révèlent que l'affaiblissement du pouvoir du Guide Suprême risque aussi d'être ébranlé par le jeu des rivalités qui se joue à Téhéran.

Comment réformer la République Islamique ?

Cela peut sembler lassant pour la politique étrangère des Etats-Unis, après avoir fournit tant d'efforts pour barrer la « route vers la bombe », de devoir à présent répondre à d'autres préoccupations en ce qui concerne l'Iran, qui vont de la privation de droits politiques à la violation des droits de l'Homme, à la répression des femmes et des minorités, à la fragilisation de pays voisins, et au soutien au terrorisme. La liste est longue, et la capacité de Washington à corriger l'attitude maligne de Téhéran offre peu de place à l'optimisme.

Ce qui rend ces inquiétudes davantage pertinentes aujourd'hui n'est pas tant le barrage posé à l'Iran sur son chemin vers la bombe (via le PAGC) que l'ouverture d'une nouvelle ambition similaire sous ce même PAGC: le droit accordé à l'Iran de devenir une puissance nucléaire internationalement reconnue, lorsque les contraintes imposées par l'accord prendront fin. Le Secrétaire Kerry insiste sur le fait que cela n'arrivera pas de si tôt. Les Etats-Unis peuvent-ils s'assurer que le régime de Téhéran se sera réformé d'ici là ? Et, surtout, quels changements une « réforme » impliquerait-elle pour l'Iran ?

Si nous réalisions un sondage au près d'experts sur la manière dont les Etats-Unis devraient apprécier la réforme en Iran, un consensus serait peu probable. Mettre un terme à l'obligation de loyauté et à la disqualification des candidats à la présidentielle par le Conseil des Gardiens serait à l'évidence un moyen de mesure fiable. Pourtant, cela fait plus de deux décennies que le pourcentage de candidatures autorisées à l'élection présidentielle n'a pas dépassé les 2%. Même avec les deux victoires de Rafsandjani, en 1989 et 1993, plus de 96% des candidatures furent disqualifiées à l'avance.

Une forte diminution, et de préférence la fin, des exécutions en Iran marquerait certainement le début d'une réforme. Pourtant, là encore, nous devons nous poser la question de la possibilité d'une réforme significative. Le rapport annuel du Département d'État sur les droits de l'Homme de 2015, publié en avril 2016, mentionne une longue liste de violation de ces droits en Iran, notant que « l'Impunité reste la norme à tous les niveaux du gouvernement et des forces de sécurité ». Le Président Rohani, au moment de son élection en 2013, nomma Mostafa Pour Mahammadi Ministre de la Justice, un homme personnellement impliqué dans les exécutions extrajudiciaires de quelques trente milles dissidents emprisonnés en 1998. Ce fut un crime d'une « grande infamie », d'après l'avocat britannico-australien des droits de l'Homme Geoffrey Robertson, dont l'enquête en 2009 mis tout l'affaire en lumière, ainsi que celles des marches de la mort japonaises lors de la Seconde Guerre Mondiale et du génocide de Srebrenica en 1995.

Alors qu'un réel débat est nécessaire autour de la politique des Etats-Unis envers ce régime, à la fois obscur et inquiétant, il y a un bien un acte qui devrait plus que tout signaler à l'Occident, aux pays voisins de l'Iran et à ses 79 millions de citoyens, que la réforme et à portée de main. Les dirigeants iraniens doivent admettre l'inéluctable vérité selon laquelle ils ont échoué dans leur quête de califat et de pays souverain.

* L'ambassadeur Lincoln Bloomfield est président du conseil d'administration du Henry L. Stimson Center, un think tank de sécurité non partisane à Washington, DC et a servi comme secrétaire d'Etat adjoint pour les affaires politiques et militaires des Etats-Unis de 2001 à 2005.

Dr. Ramesh Sepehrrad est professeur à l'École d'Analyse et de Règlement des Conflits à l'Université américaine George Mason (Virginie). Son domaine de recherche couvre l'Iran et les droits de l'homme, l'égalité des genres et la politique américaine.