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La « terreur noire » et sa racine historique en Iran

par François Colombet, président de la Fondation d'Etudes pour le Moyen-Orient

Paris n'en est pas à sa première expérience du terrorisme inspiré par la religion. Cette douloureuse épreuve nous l'avons traversée pour la première fois au milieu des années 1980 quand est apparue ce qui était à l'époque une forme nouvelle de terrorisme. Paris a été ensanglanté par une vague d'attentats que les enquêteurs attribueront à un réseau islamiste dont les agents opérationnels étaient fournis par le Hezbollah libanais et dont les ficelles étaient tirées par l'Iran. Un groupe local de fanatiques soudé par une croyance dans "la vertu de la Révolution islamique" participa également à la furie meurtrière qui verra Paris, entre décembre 1985 et septembre 1986, frappé de quelques 13 attentats avec, à chaque fois, des morts et des dizaines de blessés. Le plus meurtrier de ces attentats sera celui de la rue de Rennes où une voiture piégée a explosé près du magasin Tati provoquant un carnage jusque-là inconnu des Parisiens.

Si le groupe local gravitait autour d'un certain Fouad Saleh, un exalté du djihad qui avait séjourné en Iran, c'est en réalité Vahid Gordji, un attaché à l'ambassade d'Iran à Paris, qui était l'agent sur place donnant les ordres d'opérations au groupe Fouad Saleh. Dans un passé récent, Gordji avait déjà eu des relations avec Fouad Saleh puisqu'il lui avait obtenu une bourse d'études dans les écoles théologiques de Qom où Saleh était resté un an pour compléter son endoctrinement. Comme aujourd'hui, la "sale guerre" contre les Français visait à infléchir la politique moyen-orientale de la France. Ce qu'on a appelé l'"affaire Gordji" a finalement abouti à la rupture des relations diplomatiques entre l'Iran de Khomeiny et la France de Jacques Chirac.

Au même moment, l'Etat terroriste iranien était impliqué dans des enlèvements d'otages français au Liban par l'entremise d'un autre groupe extrémiste, le Djihad islamique, qui revendiquera le 5 mars 1986 l'assassinat du sociologue Michel Seurat. Le 9 mars, ce même groupe procèdera à l'enlèvement d'une équipe d'Antenne 2 qui sera détenue avec une vingtaine d'autres otages enlevés par les islamistes pro-iraniens.

Le terrorisme comme logique de violence politique transnationale est dès lors clairement identifié comme la nouvelle stratégie des religieux intégristes au pouvoir en Iran (voir ci-dessous l'historique des attentats en France de décembre 1985 à septembre 1986).

Le khomeynisme

Dans sa dernière analyse parue dans Le Monde du 17 novembre 2015, le sociologue franco-iranien Farhad Khosrokhavar rappelle l'origine historique du mal qui nous atteint. Pour le directeur d'étude à l'EHESS, "l'enthousiasme à mourir et à donner la mort en déshumanisant totalement ceux contre qui leur haine se déchaîne est une trouvaille qui date de la révolution iranienne de 1979 et qui s'est répandue dans le monde sunnite, se nourrissant des humiliations et de la volonté de revanche contre l'Occident maléfique."

La "terreur noire" est en effet inscrite à l'origine même du régime khomeiniste qui préconise dans sa Constitution "l'exportation de la révolution islamique" et "l'union du monde musulman sous la tutelle du guide suprême". Autrement dit un "califat" iranien proclamé bien avant celui de Daech. Ce dernier n'est en quelque sorte qu'un sous-produit de cette dérive funeste qui ensanglante aujourd'hui notre planète.

Ce n'est pas sans raison que les démocrates iraniens (réunis dans la coalition du Conseil national de la Résistance iranienne) se déclarent médusés d'entendre aujourd'hui certains cercles proposer de s'allier au régime des mollahs pour combattre le terrorisme. C'est pour eux une aberration qui sidère tout autant les révolutionnaires syriens (réunis dans la Coalition nationale syrienne). Tout le monde sait bien que Téhéran et son armée de Pasdaran sont en réalité la cause principale du prolongement du carnage syrien. Il est de notoriété publique que sans les armes, les troupes (avec des affidés du Hezbollah et des milices recrutées en Irak et en Afghanistan) et les milliards en provenance d'Iran, le régime d'Assad aurait déjà été renversé.

Pour venir à bout de Daech

La guerre contre Daech peut être gagnée. L'armée terroriste composée de quelque 25.000 combattants, dont 4000 Européens, tous animés d'une idéologie sans légitimité théologique, peut être évincé. Simplement, il faut s'en donner les moyens, sans pour autant s'allier avec Bachar Assad, qui n'apporte rien à la guerre contre Daech. En réalité, Bachar Assad se sert de Daech comme repoussoir pour nous contraindre à l'accepter éternellement au pouvoir. Le secrétaire d'État John Kerry a eu raison de souligner "qu'il ne faut pas se tromper ! Assad a passé son propre marché avec Daech. Ils vendent du pétrole, il achète le pétrole. Ils sont symbiotiques et non de véritables ennemis. Et il n'a pas, en quatre ans, monté d'attaques contre Daech. Le QG de Daech est à Raqqa depuis des années et il n'a jamais été bombardé par ses bombes" (Conférence des ministres des AE sur la Syrie à Vienne, le site du Département d'Etat, le 14 novembre 2015).

La solution semble claire pour la Syrie: il faut plus que jamais tenir à l'écart le régime iranien et soutenir les opposants démocrates ainsi que les Kurdes qui combattent à la fois Daech et l'armée de Bachar El Assad. De même qu'en Irak il importe de faire barrage à la mainmise de l'Iran en soutenant les forces démocratiques et sunnites qui ont déjà fait leurs preuves face aux jihadistes. De l'avis de certains spécialistes, on pourrait reprendre assez vite les territoires tenus en Syrie par Daech sans envoyer de troupes occidentales. Les forces locales sont d'ailleurs les plus capables de l'emporter sur le terrain. A condition d'être aidées.

Mais il faut aussi d'urgence réfléchir et agir pour éradiquer le mal à sa "racine historique". En se rappelant que si le dynamisme de l'islamisme militant a pris son essor avec la "Révolution islamique", il ne disparaîtra qu'avec le changement de régime en Iran vers la démocratie. Il faut donner la parole et les moyens aux musulmans démocrates de ce pays qui représentent en réalité la grande majorité et qui se sont déjà organisés de longue date dans l'opposition, pour constituer une alternative démocratique.

Les attentats de 1985/1986 à Paris:

7 décembre 1985 : Une bombe explose dans les grands magasins Printemps et Galeries Lafayette à Paris : 35 blessés.

3 février 1986 : Une bombe explose au sein de la galerie marchande de l'hôtel Claridge sur les Champs-Elysées : 8 blessés. Une bombe est désamorcée au 3ème étage de la Tour Eiffel une heure plus tard.

4 février : Explosion à la librairie Gibert Joseph à Paris : 4 blessés.

5 février : Une bombe explose dans le magasin Fnac-Sport du forum des Halles : 9 blessés.

17 mars : Explosion suivie d'un incendie au sein du TGV Paris-Lyon : 9 blessés.

20 mars : Une bombe explose dans la galerie Point-Show sur les Champs-Elysées : 2 morts et 28 blessés. Quelques minutes plus tard, une bombe est désamorcée dans le métro à la station Châtelet.

4 septembre : Attentat manqué contre le RER à la gare de Lyon.

8 septembre : Une bombe explose au bureau de poste de l'Hôtel de ville de Paris : 1 mort, 18 blessés.

12 septembre : Une bombe explose à la cafétéria Casino du centre commercial de la Défense : 31 blessés.

14 septembre : Une bombe explose au moment de son désamorçage contre le pub à Paris : 3 morts et 1 blessé.

15 septembre : Une bombe explose à la préfecture de police de Paris : 1 mort et 51 blessés.

16 septembre : Une bombe contre un restaurant au Nord de Paris : 1 blessé.

17 septembre : Une voiture piégée explose près du magasin Tati, rue de Rennes, à Paris : 7 morts et 51 blessés.

Vous pouvez retrouver l'article ici : https://www.huffingtonpost.fr/francois-colcombet/la-terreur-noire-et-sa-racine-historique-en-iran_b_8645254.html