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Sid Ahmed Ghozali: L’expansionnisme est dans la nature du régime

Sid Ahmed Ghozali, ancien premier ministre d'Algérie

Transcription de l'intervention de Sid Ahmed Ghozali au colloque de la FEMO à la Maison de la Chimie, le 11 février 2014:

"Il y a 35 ans nous avons été nombreux à travers la planète à vivre comme un jour glorieux la chute d'un régime dictatorial. 35 ans après qu'en est-il ? En tant qu'Algérien, j'ai un regard objectif sur la problématique iranienne. Je suis d'autant plus à l'aise de le dire, que notre relation avec l'Iran pourrait être un cas d'école sur le comportement du régime dictatorial vis-à-vis de ses voisins et de ses "amis".

On a beaucoup parlé de l'Iran en 1979-80 et on parle aujourd'hui beaucoup de l'Iran, hélas, pas avec la même note d'espoir qu'à l'époque. En 1962 au moment de l'indépendance, pour moi l'Iran c'était Mossadegh, c'était le nationalisme, c'était la fierté. Ils étaient des Persans, nous étions des Arabes. Nous étions fiers de voir un musulman faire face aux multinationales britanniques et américaines et défendre les intérêts de son peuple.

Et aujourd'hui on parle de l'Iran quand on exécute, comme cela a été fait en 1988. 30 000 opposants ont été exécutés en l'espace de deux à trois mois. Aujourd'hui on parle de l'Iran comme un pays qui sur une période d'une trentaine d'années a pendu 120 000 opposants. On parle de l'Iran comme le pays où l'on exécute le plus dans le monde, proportionnellement à sa population. L'an dernier le nombre des exécutions s'est monté à 700. On parle de l'Iran comme d'une dictature religieuse où on continue à lapider les femmes. Et on parle de l'Iran en Irak, où le régime iranien est devenu un élément déstabilisant dans une région aussi forte historiquement et aussi importante pour la stabilité dans le monde. On parle de l'Iran dans la présence du régime iranien dans les événements de Syrie, au côté d'un autre dictateur sanguinaire.

Je suis amené à me demander de plus en plus d'où vient cette cécité quand on parle de négociations. Cette cécité des Occidentaux et de l'administration américaine en particulier, quand il s'agit de l'Iran. Qui d'un côté, le discours politique, se présente comme les champions de la démocratie, comme l'avait promis, Obama, il y a six ans, qu'il allait travailler à créer des rapports nouveaux avec la sphère arabo-musulmane. Et qui d'un autre côté, agit comme s'il y avait une sorte d'alliance objective entre les États-Unis d'Amérique et l'Iran. Et je le comprends d'autant moins que cela a conduit de la même manière que l'intervention en Irak en 2003 avait abouti à un résultat qui battait en brèche frontalement les intérêts américains dans la région.

Sid Ahmed Ghozali, ancien premier ministre d'Algérie

L'un des piliers de la structure sécuritaire qui avait été installée par les États-Unis d'Amérique dans le Moyen-Orient au lendemain de la deuxième guerre mondiale, c'était un strict équilibre entre l'Iran et l'Irak. C'était l'un des fondements de la structure sécuritaire. Et l'intervention militaire de 2003 a non seulement rompu cet équilibre, mais elle a mis l'autre pays entre les mains du régime iranien. Et il n'y a aucun doute, on le voit, l'Iran a un rôle déstabilisateur dans la région.

Nous avons notre propre expérience. L'Algérie a toujours eu une attitude fraternelle vis-à-vis de l'Iran. J'ai dit tout à l'heure pourquoi. À telle enseigne qu'elle a été le seul pays arabe qui, pour des raisons ouvertes, n'a pas soutenu l'Irak dans la guerre contre l'Iran. Je ne parle pas de la position de la Libye et de la Syrie, pour qui c'était des histoires de régimes... Mais l'Algérie en tant qu'État, en tant que peuple, a toujours eu une attitude très fraternelle vis-à-vis de l'Iran. Et c'est l'Algérie qui a été l'intermédiaire, qui a été la cheville ouvrière pour sortir l'Iran du contentieux qu'il avait vis-à-vis des États-Unis d'Amérique. Puisque les otages américains ont été libérés à la suite d'une médiation de l'Algérie. Et je note en passant aussi que l'Algérie a perdu dans cette médiation, un avion qui contenait le ministre des Affaires étrangères et 14 cadres supérieurs, qui a été abattu à la frontière irako-iranienne.

J'ai vécu moi-même en tant que ministre des Affaires étrangères de l'Algérie, et vu de mes yeux vu, comment le régime iranien cherchait à asseoir son hégémonie sur tout le monde musulman. Et en commençant par l'Algérie, qui était un pays exemplaire, dans le sens où tout ce qui peut se passer en Algérie ne peut pas ne pas se répercuter dans les autres sphères. Et ils ont commencé par l'Algérie. On peut parler d'ingratitude, mais ce n'est pas une question de gratitude ou d'ingratitude. C'est le fondement même de ce régime, disons c'est dans ses gènes, que de chercher à s'imposer à un peuple par le recours à l'expansion et à l'hégémonisme. J'ai entendu un discours d'Ahmadinejad l'an dernier, dans une interview qu'il a donnée à Euronews, il a dit : il faut que les Occidentaux sachent que nous contrôlons 60 % des réserves pétrolières musulmanes ! C'est-à-dire qu'il intégrait déjà les réserves iraniennes et irakiennes, une partie des réserves saoudiennes, une partie des réserves du Golfe et une partie des réserves d'Afrique du Nord, c'est-à-dire l'Algérie et la Libye. Je dis mot par mot, il a dit : « sachez que nous contrôlons pour le moment 60 % des réserves pétrolières musulmanes » !

C'est ce qui nous a conduits à rompre les relations diplomatiques avec ce pays. J'étais chef du gouvernement à l'époque, à cause de leur immiscions dans nos affaires intérieures, non seulement leur prosélytisme à travers les mosquées et la formation des réseaux, mais aussi le soutien qui a été donné aux mouvements terroristes et intégristes. C'était le temps du feu le président Boudiaf qui a été assassiné en 1992. Et je suis désolé de noter que sept ans après, Bouteflika a repris en un quart d'heure les relations avec ce pays.

Ce que je dis donc n'est pas subjectif, ce n'est pas lié à une adhésion, que je ne nie pas, j'assume, à la cause de la résistance iranienne, ça c'est la personne qui parle. Mais il y a autre chose. Et je ne vois pas pourquoi les Américains et les Occidentaux ne sont pas arrivés à faire le lien entre la problématique iranienne et la problématique plus général dans le monde arabo-musulman. Au moment où on se gargarise avec le printemps arabe, on oublie que dans ce "printemps arabe", l'Iran est le seul pays où il y a une alternative au pouvoir en place. Il y a une alternative qui n'est pas née d'hier, qui a plus de 40 ans d'âge, qui est ancrée dans la population, qui est profondément ancrée, malgré l'exil, dans la population, et qui est capable, sans avoir à demander le recours à la force de l'OTAN ou quoi que ce soit, de mettre par terre ce régime.

Espérer obtenir quelque chose par la négociation, c'est soit de la naïveté soit de la complaisance. Les régimes dictatoriaux peuvent vous promettre ce que vous voulez, mais ils ne le respecteront jamais, parce que ce sont des régimes dictatoriaux, c'est dans leur nature. L'histoire est pleine d'exemples comme ça, notamment le coup de Munich. Déjà en 1997, Clinton avait naïvement cru à la solution en disant qu'avec Khatami on va renforcer le courant modéré en Iran, et maintenant la même chanson recommence. C'est-à-dire en faisant fi de tout ce qui s'est passé entre 1997 et maintenant.

Et on croit que ce régime peut accepter une aile modérée. L'instrumentalisation de la religion à des fins politiques, est en elle-même un extrémisme. Ce qui fait qu'il y a antinomie entre ce qu'on appelle islamisme et modération. L'Islamisme modéré ça n'existe pas ! L'Islamisme, c'est-à-dire l'instrumentalisation de la religion à des fins politiques, ne peut pas être modéré.

Et c'est pour ça que la dictature des mollahs est pour moi un danger très grave pour la stabilité dans la région. Car elle veut s'octroyer le rôle privilégié dont jouit actuellement l'Arabie Saoudite. Et il y a un risque pour que les négociations qui se font actuellement entre les États-Unis et l'Iran se fassent au prix du sacrifice du peuple iranien.

Aujourd'hui quand on parle de l'Iran, on parle de la bombe atomique. Mais non ! Il n'y a pas que la bombe atomique. Et le peuple ? C'est comme si le peuple iranien n'existait pas. Il y a un lien mécanique. Il y a la bombe atomique, mais il y a aussi le peuple.... La question de la bombe atomique ne peut pas être réglée si on ne laisse pas les forces capables de le faire, les forces de la résistance, appliquer son sort à ce régime qui est décidément un ennemi public sur le plan international."