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L’Iran, une société étouffée qui peut exploser à tout moment.


Le président de la Fondation d'Etudes pour le Moyen-Orient, François Colcombet, participait le 10 décembre dernier à un colloque organisé au Paris School of business, sur le thème « Iran : guerre ou paix ? ». Voici un extrait de cette intervention de l'ancien magistrat et spécialiste de la constitution iranienne :

« Je suis content d'être ici parce que je suis de ceux qui pensent que la connaissance de l'Iran et de toute la région est absolument indispensable, ne serait-ce que pour savoir ce qui nous arrive, là où nous sommes.

En Iran, le vrai pouvoir est exercé par le Guide suprême, et là il y a quelques choses qui nous ramènent à l'actualité de notre pays. Il y a le discours de Khomeiny (le fondateur du régime) et une constitution qui « émanent de Dieu», qui ont une forte connotation religieuse. Elle se double d'un discours sur la vocation de la religion à exercer le pouvoir dans l'ensemble du territoire, et c'est ce discours que vous entendez actuellement chez Daech, le discours d'un califat mondial. Donc il y a déjà eu une proposition dans ce sens (en Iran) et ça ressemble de façon tout à fait extraordinaire à aujourd'hui.

Tout de suite des actes mettent en application, ces actes étant la volonté de répandre par la force la « bonne parole» à l'intérieur de tout le Moyen-Orient. Et ça va très vite, d'abord l'adversaire désigné c'est Israël, mais en réalité c'est aussi le Liban, avec le Hezbollah, un groupe culturellement proche de l'Iran parce qu'il est chiite et qui se trouve aux confins de la Syrie et du Liban. Il va être le moyen d'intervenir des Iraniens dans cette région.

Le régime très vite pratique le terrorisme ciblé d'abord, c'est à dire qu'on tue les opposants qui se sont réfugiés à l'étranger. Pour nous occidentaux c'est très perturbant: des gens qui sont venus sous notre protection, on les tues à Genève, à Rome, on tue des kurdes à Berlin... D'où des procédures judiciaires, et en tant que magistrat je voyais ça en première ligne, des histoires extrêmement compliquées. Tout ça pour vous dire que tout ce que vous vivez actuellement est quelque chose qui a déjà été expérimenté, plus concrètement chez nous en France. Dans l'année 86 il y a eu toute une série d'attentats, il y a eu 13 ou 14 à Paris dans une période assez courte, suscités par le régime iranien qui voulait amener la France à changer d'attitude dans sa politique internationale. Avec ce qui se passe en ce moment il y a de fortes ressemblances. Il y a le discours de « conquête», il y a l'utilisation du terrorisme aveugle, des bombes qui sont posées. À l'époque, ceci avait beaucoup terrorisé et inquiété le pays.

Je résume quels ont été ces attentats: pour l'essentiel ce sont des bombes qui sont posées dans des magasins, des restaurants et il y a une bombe qui est posée dans le TGV. Il y en a une qui va causer plus de dégâts que d'autres, c'est dans le magasin Tati, où il y a eu neuf morts et 51 blessés. Tout ceci s'étale sur une année complète et ça va s'arrêter après les élections que la gauche va perdre et on rentre dans la première période de cohabitation. Pendant la campagne, les gaullistes de l'époque avaient joué avec le feu en ayant des contacts avec au moins certains ravisseurs manipulés par l'Iran au Liban.

A la même époque il y a aussi l'enlèvement d'une équipe de journalistes d'Antenne 2. Très favorables en période électorale, la droite avait un peu baissé la garde et elle se retrouve brusquement au pouvoir, donc obligée d'assumer les bêtises qu'elle a faites et ça va aboutir à la fin de l'année 86 à une rupture des relations entre Jacques Chirac et l'Iran. Donc à retenir de cette époque: un régime qui a pratiqué le terrorisme et qui l'a pratiqué avec un discours fondé sur le chiisme, repris dans un discours sunnite actuellement; et l'utilisation délibérée du terrorisme aveugle. D'autres attentats ont eu lieu dans d'autres pays, il y a un attentat à Buenos Aires dans des établissements juifs et il semble que c'est l'Iran qui était derrière.

Qu'en déduire ?

Moi, je suis de ceux qui disent qu'avant de faire confiance à l'Iran il faut y regarder à deux fois et certainement ne pas se précipiter. C'est un régime qui n'a pas changé, contrairement à ce qu'on a pu croire. Par exemple, le statut des femmes: les femmes accèdent à l'enseignement, elles sont nombreuses à l'Université,mais elles n'ont pas le droit, avec la constitution mise en place par Khomeiny, d'accéder à la Présidence de la république et à des postes importants et en particulier la fonction de magistrat. Les fonctions de juges sont des fonctions qui dépendent du Guide suprême, c'est à dire qu'elles sont contrôlées par le représentant religieux.

En Iran il y a des forces de contestation, des gens qui réfléchissent, qui veulent que ça change et ont plusieurs fois essayé de changer. Mais en réalité, dans cette constitution, personne n'a le droit de se présenter s'il n'a pas été agréé par le pouvoir. Il y a partout un barrage et il est institutionnalisé. Donc, même les opposants au sein du régime sont des personnes qui ont été adoubés avant d'être élus. D'où le résultat d'une société assez étouffée qui peut à mon avis exploser à tout moment. »