en

Yves Thréard: L’influence du régime iranien sur la propagation de l’Islamisme

Entrez un sous-titre ici

Transcription de l'intervention d'Yves Thréard, au colloque de la FEMO à la Maison de la chimie:

"L'Iran est un pays que j'aime bien. Quand la révolution a éclaté en 1979, je revenais de ce pays. On m'a demandé pour ce soir de répondre à une vaste question, si tant est qu'on puisse y répondre : quelle est l'influence de la révolution iranienne, de ce régime iranien sur la diffusion de l'islamisme dans le monde.

Alors je ne sais pas si vous vous souvenez, mais moi j'ai un souvenir très précis de l'année 1979, il y a donc 35 ans, quand l'ayatollah Khomeiny est arrivé à Téhéran. Et plutôt j'ai un souvenir assez précis des jours qui ont précédé son arrivée là-bas, lorsqu'il était dans une commune des Yvelines qui s'appelaient Neauphle-le-Château, et où tout le monde allait lui rendre visite avec tellement de déférence et je dirais, de curiosité aussi. En 1979 on ne savait pas précisément ce que c'était un imam. On savait qui était le chah d'Iran et on savait plus ou moins que le chah d'Iran n'avait pas toujours la main tendre avec son peuple. On avait suivi son couronnement impérial à la télévision. Mais l'imam Khomeiny, lui, avait tous les égards. Il avait évidemment les égards du pouvoir français, et pour cause. Et il était visité, loué par Michel Foucault. Mais moi, j'ai le souvenir surtout d'une visite de voisine, c'était Marguerite Duras, pour un journal qui s'appelle Libération. Marguerite Duras avait fait un entretien avec l'imam Khomeiny. Alors évidemment à l'époque sans doute on pêchait beaucoup par naïveté, on était pas mal ignorant, et on ne savait qu'elles étaient les intentions de ce régime, intentions libératrices pour un peuple, mais intentions qui n'étaient pas " libératrices" pour le peuple iranien.


Alors, j'entendais les comparaisons que tout à l'heure Bertrand Delais a fait avec le régime soviétique, c'est une comparaison assez facile, mais finalement Lénine était à Paris avant de faire la révolution à Moscou, l'ayatollah Khomeiny était en France avant d'aller faire la révolution en Iran, où il n'a pas eu besoin de faire le coup de poing puisque le régime est tombé de lui-même... En Union soviétique le régime communiste a eu une durée de vie de 70 ans, combien de temps, pardonnez-moi ce raccourci, le régime iranien va-t-il durer ? Puisque c'est la question que tout le monde se pose aujourd'hui.

Ce que je voudrais dire aussi, parce que j'ai fais des recherches et je suis allé rechercher ce qui avait été dit et ce qu'avait déclaré l'ayatollah Khomeiny quand il est arrivé au pouvoir en 1979, effectivement il avait l'ambition de prendre le pouvoir dans son pays, éventuellement par la parole, prétendre le libérer, mais il avait une ambition qui était expansionniste par rapport à l'ensemble du monde. Pas uniquement le monde arabe ou musulman, mais à l'ensemble du monde, parce que c'était évidemment la revanche qu'il voulait prendre part rapport à l'Occident et puis au Grand et au Petit Satan. Et j'ai retrouvé des déclarations sur cet islam triomphant qui défendra le Coran contre les mécréants de l'Occident. Et on trouve aussi des déclarations de certains dirigeants occidentaux : un Israélien Moshé Dayan, qui a dit précisément quand l'ayatollah Khomeiny est arrivé à Téhéran : " c'est un tremblement de terre, à bientôt" ! Moshé Dayan qui meurt d'ailleurs deux ans après l'arrivée de Khomeiny à Téhéran, il a l'air de dire, et il en fait l'exégèse après cette situation, c'est à bientôt mais pour toujours ! Et quand il y a la guerre qui se déclare entre l'Iran et l'Irak, et c'est l'Irak qui commence cette guerre d'ailleurs, et bien Mitterrand a cette phrase : si nous ne soutenons pas l'Irak, le vent de la révolution islamique atteindra l'océan atlantique. Comme quoi à l'époque tout le monde est conscient que le danger est là, et que ce danger expansionniste avec les diatribes de l'ayatollah Khomeiny, qui sont très sobres dans le ton mais très lourdes dans le contenu, représente un danger pour le monde. Et d'où le danger pour les Occidentaux, mais aussi pour une partie du monde arabe, et c'est pour ça d'ailleurs que Saddam Hussein ira faire cette guerre contre l'Iran.

Alors évidemment vous allez me dire mais comment on peut parler de propagation de l'islamisme quand on oublie des choses : Premièrement que les Iraniens sont des Perses alors que la grande majorité du monde musulman est Arabe, donc dualité, conflictualité. Et deuxièmement, le fait que d'un côté vous avait des chiites qui sont minoritaires et de l'autre côté des sunnites qui sont largement majoritaires dans le monde musulman. Et si on regarde bien, finalement cette opposition n'est que très relative sur le plan fondamental. Elle est probablement très forte sur le plan politique, et beaucoup plus relative sur le plan fondamental, parce que, essentiellement, les différences sont moins doctrinales que dynastiques.

Donc à partir de là, si on distingue les populations et les régimes, on peut considérer que l'incarnation d'un régime islamique qu'est Téhéran à l'époque, à une influence forte sur les populations arabes qui voisinent Iran. Parce qu'ils se disent que c'est une traduction peut-être de ce qu'elles souhaitent en opposition aux régimes autocratiques qui les gouvernent et qui sont des régimes dans lesquels elles se trouvent souvent en situation d'oppression. Ça évidemment vous l'avez dans les pays sunnites, vous l'avez aussi dans les pays qui ont des majorités chiites, c'est le cas de l'Irak précisément où la majorité de la population est chiites. Et puis vous avez le cas du Liban avec le Hezbollah qui retrouve dans l'Iran une raison de se battre et de se faire entendre qu'il n'aurait pas pu avoir autrement. Donc c'est quelque chose qui montre que le régime, en s'installant à Téhéran, à des volontés d'expansion et qu'il entend aussi être une force de résistance pour s'affirmer contre une Arabie Saoudite qui est sans doute à son goût trop inféodée au Grand Satan américain.

Cet expansionnisme va avoir des traductions terroristes, va avoir des traductions militaires, inutile de vous parler du Hezbollah, au Liban et hors du Liban. Puisque l'idée pour l'Iran c'est d'aller porter le coup de poing pour se défendre soi-même contre ses propres opposants à son régime. Et le mouvement de la résistance iranienne en a fait plus que les frais. C'est de ce protéger aussi, de faire le coup de poing contre des forces occidentales et notamment les États-Unis, la France. On se souvient des attentats à Beyrouth en 1983. Et j'ai même relevé - j'étais assez incroyablement étonné par le nombre d'attentats qu'il y a eu en 1985 et 1986 à Paris - des attentats qui ont été commis probablement par le Hezbollah. Entre février 1985 et septembre 1986 vous avez eu dix attentats à Paris qui ont été commis vraisemblablement par le Hezbollah et Fouad Ali Saleh qui n'était pas loin.

Je voulais parler aussi de ces manifestations, de la mise en chauffe de la communauté musulmane pour "hystériser" ses penchants islamiques. Ils ont été aussi largement utilisés par l'Iran à deux occasions, qui ont été des occasions mondiales, et qui permettent à l'Iran d'entretenir une flamme très utile pour le maintien de son régime, comme exemple de l'islam politique. Parce que c'est ça qu'il faut voir. C'est l'affaire des versets sataniques de Salman Rushdie en 1989. Les versets sataniques, en France, personne ne l'avait lu, en Algérie personne n'avait lu Les versets sataniques... Aux États-Unis, personne n'avait lu Les versets sataniques, avec tout le respect que l'on doit à Salman Rushdie! Mais qui a créé cette espèce d'hystérisation à partir de ce livre ? Et bien c'est évidemment le régime iranien. Vous avez eu un deuxième exemple qui est beaucoup plus proche de nous, c'est en 2006. En 2006 souvenez-vous c'est l'affaire des caricatures au Danemark, qui ont été reprises en France. C'était des instrumentalisations qui n'étaient pas locales. Je suis allé voir un peu comment la chaîne s'était faite, cette hystérisation elle trouve son origine à Téhéran précisément. Qui est toujours le premier à instrumentaliser.

La question principale - on dit et on n'arrête pas de le dire aujourd'hui - c'est que l'islam politique est un échec, c'est un échec dans tous les cas en Égypte, c'est un échec en Tunisie... Mais l'islam politique si vous y réfléchissez bien, il existe en Iran. Et donc il n'a pas fini son œuvre, cet islam politique. Et l'Iran n'a pas fini son œuvre. Avec l'instrumentalisation de l'arme nucléaire, avec d'autres dossiers à caractère économique... Ils n'ont pas fini d'exercer une espèce d'influence très forte au-delà des divisions sunnites-chiites, perses-Arabes à travers le monde. Et c'est ça qui est tout à fait intéressant quand on analyse ce régime qui est le premier régime de l'histoire contemporaine à être un régime islamiste et qui aujourd'hui est un régime revendiqué comme islamiste. Alors évidemment vous pouvez me parler de l'Arabie Saoudite.... Mais ce régime est arrivé par la révolution. Et c'est ça qui est intéressant de constater aujourd'hui, et en opposition par rapport à l'Occident."

Le 11 février 2014