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Iran : partenaire dans la solution ou source d’instabilité ?

Par Nader Nouri

Il existe un consensus sur l'origine de la crise actuelle en Irak. Le ministre des Affaires étrangères l'a reconnu la semaine dernière lors de son audition à l'Assemblée, il s'agit de la politique autoritaire et sectaire de l'ancien Premier ministre Al-Maliki qui a marginalisé les sunnites et les Kurdes et tout en monopolisant le pouvoir dans les mains d'une fraction chiite.

Pendant son deuxième mandat, Al-Maliki, chef des armées, ministre de l'Intérieur, de la Défense et du Renseignement, a agi sous les ordres de Téhéran. Il a réorganisé les services de sécurité et de Police en les confiant à ses proches et à son fils, et mené une vaste purge de l'armée et des forces de sécurité. Une véritable mobilisation nationale et internationale s'est formée pour son départ, alors qu'il a été soutenu jusqu'au bout par le régime iranien.

Le résultat de cette politique qui a conduit l'Irak au bord de la désintégration, a créé les conditions pour l'émergence et le développement d'un groupe extrémiste violent qui a fini par constituer un « califat » (autoproclamé « Etat Islamique ») occupant une partie du territoire irakien. Bien qu'il existe, là aussi, un consensus pour contrer ce danger et ses conséquences, une fausse idée est en train de se répandre dans la précipitation causée par ce phénomène : associer l'Iran à la recherche d'une solution. Nous pensons qu'il est dangereux de croire que pour éradiquer l'EI, on peut ou on doit coopérer avec le pouvoir de Téhéran.

C'est d'abord le régime iranien et ses divers lobbies qui la propagent. Ce n'est pas sans rappeler une situation similaire en 2003. Lors de l'invasion de l'Irak, les Etats-Unis et leurs alliés cultivaient l'illusion que la stabilité en Irak se ferait avec le régime iranien dont il fallait tolérer l'ingérence. Les années suivantes ont abouti à la formation des milices chiites et aux guerres confessionnelles (chiite-sunnite) qui ont permis à Téhéran de grignoter du terrain pour imposer son hégémonie au détriment d'une solution pluraliste. Al-Maliki a incarné cette mainmise de l'Iran sur l'Irak. Son départ a signé l'échec de l'ingérence iranienne. Devrait-on à nouveau offrir sur un plateau d'argent l'Irak à l'Iran comme en 2003 ? La communauté internationale a-t-elle autant besoin du régime iranien pour combattre l'EI, alors que la population et les tribus sunnites délaissées par la politique d'Al-Maliki se disent capable de combattre l'EI, comme ils ont combattu efficacement jadis Al-Qaïda ? Ces tribus ne réclament que des réponses favorables à leurs revendications légitimes.

Il faut savoir que le régime iranien fera tout pour conserver son influence en Irak, même jusqu'à bloquer la formation d'un gouvernement d'union nationale. L'attaque lancée le 22 août dernier par des milices chiites liées au régime iranien, contre une mosquée sunnite de la province de Diyala, avec plus de 70 civils tués, s'inscrit dans le plan conjoint de ce régime et de Maliki pour faire échouer une solution pacifique et maintenir l'influence iranienne. Le récent voyage en Irak de Djavad Zarif, ministre iranien des Affaires étrangères, est un autre volet de ce stratagème. Il s'agit d'empêcher le nouveau Premier ministre Al-Ebadi de former un gouvernement inclusif ou de s'assurer du maintien au sein du prochain gouvernement d'une certaine hégémonie de Téhéran.

Les Etats occidentaux, particulièrement les Etats-Unis du fait de leur présence, et la France par la diplomatie active et efficace adoptée à l'égard de l'Irak, peuvent jouer un rôle déterminant en encourageant Al-Ebadi à assumer une responsabilité nationale et à s'opposer à l'ingérence de son grand voisin. Ce qui se passe en Irak résulte d'une politique américaine erronée qui a laissé grandes ouvertes les portes de l'Irak à Téhéran depuis une décennie. Cette politique a échoué. Les diverses composantes de l'échiquier politique irakien, à commencer par les sunnites, insistent sur l'éviction de l'Iran comme préalable à toute solution.

Ainsi donc, la politique d'ingérence iranienne en Irak et le comportement d'Al-Maliki durant deux mandats (huit ans) ont servi de terreau au déploiement de l'EI. Logiquement, l'action militaire à elle seule ne pourra neutraliser ce danger terroriste tant que le problème de l'influence de Téhéran en Irak ne sera pas réglé à la racine. S'occuper de l'effet, sans réfléchir à la cause - pire, en lui donnant une légitimité - va compliquer davantage la situation en faveur de la mouvance extrémiste qu'est l'EI. L'implication de l'Iran ou sa coopération dans la recherche d'une solution pour combattre ce « califat » doit faire l'objet d'une ligne rouge. Pour trouver une solution durable à la stabilité d'un Irak pluraliste, laïc et démocratique, la France devrait prendre ses distances avec la politique faillie de renoncement devant l'ingérence de l'Iran qui a été celle des Etats-Unis.

FEMO - 27 août 2014