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Levée des sanctions économiques sur l’Iran : la grande désillusion

par Mohamad Amine, Chercheur associé à la FEMO (Fondation d'Etudes pour le Moyen-Orient)

Six mois après sa conclusion de l'accord nucléaire de Vienne entre l'Iran et les grandes puissances entre en vigueur, samedi, entraînant une levée des sanctions économiques qui frappaient depuis des années ce pays aux riches ressources pétrolières et gazières. Cela suscite pourtant de nombreuses interrogations sur l'avenir.

Les entreprises occidentales se demandent si l'Iran va disposer de ressources financières fiables et sera capable de créer les conditions politiques nécessaires pour attirer des investissements étrangers.

Les Etats de la région sont inquiets de voir le régime iranien disposer de nouvelles ressources financières et les utiliser pour sa machine de guerre en Syrie et dans le reste de la région.

Le Guide suprême des mollahs et les institutions qui en dépendent, en particulier les Gardiens de la Révolution (Pasdaran), sont aux aguets pour tirer un maximum de profits de la levée des sanctions.

La société iranienne qui a expérimenté le gouvernement de Rohani et constate l'absence d'amélioration de la situation, n'a guère plus d'espoir dans l'avenir.

Une étude de la Fondation d'Etudes pour le Moyen-Orient (FEMO) dont les résultats ont été présentés en novembre 2014 a montré qu'une partie importante de l'économie iranienne (équivalent de 50% du PIB) est organisée autour de 14 holdings économiques. La totalité est contrôlée par des institutions militaires et sécuritaires ou par des fondations religieuses liées au Guide Ali Khamenei.

Les compagnies étrangères qui font des affaires avec l'Iran se trouvent face à des sociétés qui appartiennent à l'un de ces holdings. Le budget des Pasdaran et les aides financières mensuels de l'Iran au dictateur syrien, Bachar El-Assad, sont versés par ces mêmes holdings.

En septembre 2015, le groupe hôtelier français Accor a conclu un contrat avec la compagnie AriaZiggurat pour la gestion de deux hôtels 4 étoiles et 5 étoiles sous l'enseigne Ibis et Novotel. Or, AriaZiggurat appartient à 100% au fond d'investissement SEMGA, lequel est totalement contrôlé par les Pasdaran.

Dans les grands contrats, il est rare que la partie iranienne ne soit pas liée - de façon officielle ou officieuse - aux Pasdaran ou aux institutions contrôlées par le Guide.

L'avenir ne semble guère radieux. A court-terme et à moyen terme, la production du pétrole en Iran pourrait difficilement dépasser le niveau d'avant les sanctions (2,4 millions barils par jour à l'époque). Selon une estimation de la banque d'investissement APICORP (Arab Petroleum Investment Corporation), l'Iran ne pourra augmenter sa production qu'à la hauteur de 400,000 barils par jour en 2016 et 300.000 barils par jour en 2017 (AFP, 6 novembre 2015).

Le ministère iranien du pétrole estime qu'au cours des cinq prochaines années, l'Iran devra investir plus de 100 milliards de dollars dans son industrie de pétrole et de gaz. Les autorités iraniennes n'ont pas réussi à créer les conditions nécessaires pour attirer les investisseurs étrangers.

Le gouvernement Rohani en charge du paiement des salaires des fonctionnaires et de la gestion des services publics est confronté à un sérieux problème de déficit budgétaire, estimé à 50% (directeur de l'Organisation du Plan - Agence Isna, 2 août 2015).

La chute du prix de pétrole sur le marché mondiale est l'une des causes de ce déficit. Les sommes versées pour financer les efforts de guerre en Syrie et en Irak en est une autre. Dans un décret relatif au sixième programme économique du gouvernement (21 mars 2015), Khamenei avait affirmé que le gouvernement doit verser une partie de ses recettes pétrolières dans une caisse réservée à l'octroi d'aides aux « organes révolutionnaires » (Agence Tasnim, 30 juin 2015).

Dans un tel contexte, l'économie iranienne s'enlise dans une récession dont on ne voit pas la fin. Dans un rapport daté du 7 octobre 2015, Le FMI a évalué le taux de croissance économique en Iran aux alentours de zéro. L'économie iranienne a besoin d'un taux supérieur à 6% pour pouvoir sortir de la récession. Aucun des experts et responsables économiques du gouvernement n'a fait part d'optimisme sur une amélioration de la situation suite à la levée des sanctions.

Parmi les facteurs aggravant on peut énumérer : le système bancaire en faillite ; les 7000 établissements financiers liés aux divers factions qui empêchent toute régulation de la valeur de la monnaie nationale ; les lourdes dettes du gouvernement vis-à-vis des banques et des établissements financiers privés ; les sérieux problèmes de vieillissement et d'insuffisance des infrastructures, notamment les réseaux de distribution d'eau, ce qui a provoqué la paralysie de l'agriculture...

Un homme d'affaire basé à Téhéran a récemment reconnu : « Les délégations économiques occidentales qui viennent en Iran font plutôt du tourisme. Les Occidentaux veulent nous vendre leurs produits, alors que nous n'avons pas de liquidités pour les acheter. Nous voulons qu'ils investissement, alors qu'ils ne montrent aucune envie de participer à des investissements en Iran. »