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Interview avec Nader Nouri, Secrétaire général de la FEMO

Les droits de l'homme un facteur non négligeable

Dans les chancelleries, autant que chez les défenseurs des droits de l'homme et les amis de la liberté, l'élection d'Hassan Rohani avait fait naitre de nouvelles attentes quand à un minimum d'adéquation entre les actes et paroles de celui qu'on avait cru "modéré". Les grands espoirs sont partis progressivement en lambeaux, comme autant d'illusions naïves et dérisoires. Interview avec Nader Nouri, Secrétaire général de la FEMO:

Q : En quoi les atteintes aux libertés se sont aggravé sous Hassan Rohani?

Nader Nouri: Depuis l'avènement du régime du clergé en Iran les atteintes aux droits fondamentaux dont les libertés publiques et individuelles ont toujours été l'apanage de ce régime. La répression, les discriminations diverses, notamment celles basées sur le sexe et la religion, la censure, les châtiments corporels et la torture sont ancrés dans la Constitution et renforcés dans d'autres textes de la loi. Autrement dit, ces violations font partie du fonctionnement « normal » de cette dictature religieuse qui doit sa survie en grande partie à la répression.

Hassan Rohani fait partie des dignitaires du régime. Il a occupé des postes de responsabilités importantes notamment dans l'appareil sécuritaire et militaire. A ce titre, il ne peut jamais contester les fondamentaux du régime, encore moins lorsqu'il est devenu président. Depuis sa création, il y a 34 ans, la république des mollahs a été condamnée une soixantaine de fois par les instances de l'ONU et d'autres instances de défense des droits de l'homme, mais la situation de ces droits est allée de pire en pire depuis plus de trois décennies.

C'est pourquoi les violations des droits fondamentaux et l'atteinte aux libertés ont continué à s'aggraver, comme l'attestent les dernières résolutions de l'Assemblée générale et du Conseil des droits de l'homme de l'ONU, adoptées respectivement en décembre 2013 et récemment en mars 2014, ainsi que le dernier rapport du rapporteur spécial M. Ahmad Shaheed soumis au Conseil des droits de l'homme à Genève et ceux des organisations comme Amnesty International. La dernière en date des réactions de la communauté internationale est celle exprimée dans la résolution du 3 avril du Parlement européen. Si nous assistons à une nette augmentation des exécutions et atteintes aux droits, le premier d'entre eux étant le droit à la vie, c'est parce que le régime est aux abois. On note une intensification de la répression depuis notamment les manifestations de masse en été 2009 et début 2010 qui ont ébranlé les fondements même du régime. Celles-ci ont été bien sûr réprimées dans le sang, comme on pouvait s'attendre de ce pouvoir dictatorial. Mais le feu reste sous les cendres.

Outre la contestation populaire croissante, les conflits internes du pouvoir se sont intensifiés conduisant à un affaiblissement considérable du la toute-puissance du « guide suprême » Ali Khamenei. Simultanément, le régime a dû faire face aux effets des sanctions internationales qui ont frappé ses intérêts économiques et qui ont surtout eu un impact direct sur son programme nucléaire militaire. Depuis la signature de l'accord de Genève en novembre 2013, certaines voix à l'intérieur même du régime assimilent cette politique dite d'« ouverture » vers les Etats-Unis à l'absorption d'un poison qui pourrait se révéler fatale pour celui-ci. De ce point de vue, l'aggravation d'atteintes aux droits humains est le revers de médaille du « poison » nucléaire. Le raid particulièrement violent du jeudi 17 avril des agents du régime contre les prisonniers politiques dans la section 350 de la Prison d'Evin à Téhéran, en est un témoin flagrant. Cette attaque sanglante contre des prisonniers sans défense a déclenché une mobilisation sans précédente des familles des prisonniers politiques devant la présidence de la république, les bureaux d'Hassan Rohani.

Le « guide suprême » qui exerce un contrôle total sur l'appareil de la répression envoie ainsi un message clair à ceux qui cultivent l'illusion d'un assouplissement du régime dans ce domaine, notamment à l'extérieur : « je ne reculerai en rien sur ce dossier ». Ses porte-paroles avaient d'ailleurs multiplié ces derniers temps les mises en garde à l'adresse de l'équipe Rohani de faire attention à ce que le dossier des droits de l'homme ne soit en aucun cas abordé par les interlocuteurs occidentaux lors des négociations nucléaires en cours.


Pourquoi le régime n'a pu exhausser les attentes de modération?

Pour deux raisons principales. D'abord institutionnelle : l'incapacité intrinsèque de ce régime à se réformer. La république islamique est une théocratie, une dictature religieuse. La doctrine de «Velayat-e Faqih » ( la tutelle du guide religieux) concocté par Rouhollah Khomeiny (fondateur et premier « guide suprême » de « la république islamique ») pour justifier la prise du pouvoir temporel et politique par les mollahs, est le principe fondateur du régime et par définition hostile aux droits humains tels que définis dans la Déclaration universelle des droits de l'homme. Ces principes, notamment la liberté religieuse, l'égalité homme-femme, la liberté d'opinion et d'expression sont considérés par les tenants de cette doctrine comme vecteurs de la « corruption » et la destruction de la morale religieuse, d'où la promulgation des lois pénales extrêmement violente dont le Qissas (la loi du talion). Toute contestation sérieuse du pouvoir en place serait considérée comme une déclaration de guerre à l'« Islam », c'est-à-dire la lecture que les mollahs en donnent. Ces principes sont institutionnalisés dans la Constitution et d'autres textes de loi. Sans avoir « prouvé » son allégeance au « guide » et au principe du « Velayat-e Faqih » tout candidat aux élections du régime serait disqualifié d'office. Cette règle inaltérable s'applique à Hassan Rohani autant qu'à tout autre dignitaire du régime qui aspire à une fonction au sein de celui-ci.


La deuxième raison est politique : dès son investiture, Hassan Rohani a été chargé par Ali Khamenei de poursuivre les contacts avec les occidentaux sur le dossier nucléaire, que le Guide avait d'ailleurs entamé au début de 2013, et d'obtenir la levée des sanctions en échange des concessions sur le nucléaire. Le « guide » a pris un pari risqué en s'investissant personnellement dans des négociations secrètes avec le « Grand Satan » américain sur son programme nucléaire. Un programme que le régime pourra reprendre après l'effondrement éventuel des sanctions avec quelques mois de retard. Les attentes de certains en Occident pour une ouverture politique ou l'atténuation de la répression n'ont pu être satisfaites pour la simple raison que celles-ci ne figurent pas sur la « feuille de route » de Rohani fixée par Ali Khamenei, et ne pouvaient y figurer ! Au contraire, ce dernier a précisé à plusieurs reprises en termes plutôt voilés qu'il ne tolérerait aucune autre discussion que celle sur quelques aspects du programme nucléaire. Le seul objectif poursuivi par le régime de Téhéran est de desserrer l'étau des sanctions et sortir de l'isolement dans lequel son programme nucléaire dangereux l'a englouti.

De plus, Khamenei compte sur la faiblesse des positions occidentales notamment celles de la Maison Blanche et ne se sent aucunement sous pression pour améliorer la situation des droits de l'homme. La récente désignation au poste de l'ambassadeur auprès de l'ONU d'un ancien responsable de la prise d'otage à l'ambassade américaine à Téhéran en 1979, également impliqué dans l'assassinat des opposants iraniens en Europe, montre le degré de considération des autorités de Téhéran à l'égard de leurs interlocuteur américain. En septembre 2013, alors que le nouveau président était à New York pour l'Assemblée générale de l'ONU, Khamenei a fait libérer une dizaine de dissidents de l'intérieur du régime pour des raisons de propagande en direction de l'opinion occidentale mais comme l'écrivait récemment le journal Le Monde, tout s'est arrêté là.


Le PE a récemment exigé de l'UE une stratégie au-delà du nucléaire, qu'en pensez-vous?

La résolution du 3 avril du Parlement européen est d'une importance capitale et va dans le bon sens dans la mesure où elle appelle clairement l'Union européenne (dont la chef de la diplomatie supervise officiellement les négociations nucléaires en cours) à « intégrer les droits de l'homme dans tous les aspects de ses relations avec l'Iran » et considère « qu'un dialogue de haut niveau et ouvert à tous sur les droits de l'homme avec l'Iran devrait figurer dans le prochain cadre politique des relations bilatérale entre l'Union et l'Iran ». Cette résolution illustre la reconnaissance par les élus européens du fait que dissocier le dossier des violations extrêmement grave des droits de l'homme des autres aspects des relations et sous quelque prétexte que ce soit (y compris les négociations nucléaire) est non seulement contraire aux valeurs et principes de base que défendent les Européens, il est aussi dangereux. En effet comment faire confiance à un régime qui d'un côté se sent forcé de négocier sous la pression des sanctions internationales - donc certainement pas de plein de gré - et de l'autre continue à réprimer brutalement sa population ? Les événements sanglants de ces derniers semaines dans la prison d'Evin ainsi que les attaques violentes lancées par les plus hautes autorités du régime contre la personne de Mme Ashton après sa visite controversée à Téhéran, montrent les limites de la « realpolitik » consistant à céder devant les exigences des dictateurs sous prétexte de la sauvegarde d'une supposée stabilité, tout en fermant les yeux sur ce qui est inacceptable...


D'autres signes d'ouverture dans sa politique étrangère, que sur le dossier nucléaire?

Outre son programme nucléaire militaire, d'une importance stratégique vitale, Téhéran mène depuis trois décennies une stratégie de l'extension de son hégémonie sur toute la région du Proche et Moyen-Orient, à certains égards beaucoup plus dangereux que son programme nucléaire controversé : il s'agit de s'implanter en Irak voisin, en Syrie et au Liban à travers le Hezbollah que le Corps des gardiens de la révolution (les pasdarans) a créé au début des années 1980. Les soulèvements de l'année 2011 dans le monde arabe ont marqué les esprits dans cette région et alarmé les régimes dictatoriaux comme ceux de Damas et Téhéran. L'insurrection, il y a trois ans, du peuple syrien contre le régime de Bechar Assad, dans le sillage de celles des Tunisiens, Egyptiens, Libyens et des Yéménites, a déclenché l'alerte rouge pour les mollahs de Téhéran, principaux alliés de Damas. Ces derniers soutiennent financièrement et militairement la guerre que le régime d'Assad a déclaré à sa propre population. A ce titre, les dirigeants de Téhéran sont également complices des atrocités commises par les forces de sécurité syriennes qui sont activement soutenues par le corps des pasdarans, l'armée d'élite des mollahs et le Hezbollah libanais. En Irak également, la Force Qods des pasdarans est activement impliqué dans la répression de la population par le gouvernement Nouri al-Maliki, totalement inféodé au régime iranien. Ces guerres, cers crises et la déstabilisation globalisée de la région continueront tant que ce régime reste en place à Téhéran en maintenant le même cap.