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La crise syrienne et l'influence iranienne- Antoine Basbous

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La crise syrienne et l'influence iranienne

Intervention d'Antoine Basbous au colloque de la FEMO: "Je vais commencer par m'interroger sur la genèse, sur le mystère d'une alliance entre un régime soit disant laïque, le Baas en Syrie, et une République islamique qui veut exporter sa révolution partout et à travers les communautés chiites. A vrai dire, c'est une grande duperie, l'alliance est bien réelle, elle est fondée sur la dissimulation, ça veut dire qu'on met en vitrine quelque chose pour appâter.

En Syrie, on ne peut pas dire qu'il y a un régime alaouite qui est mis en place, il faut dire que c'est un régime laïc, mais derrière la laïcité, c'est une petite communauté minoritaire qui va contrôler l'ensemble des pouvoirs et surtout tout ce qui est sécuritaire, armée, renseignement, politique intérieure, etc. Et de l'autre coté, cette Syrie laïque trouve le moyen d'être le premier allié de la République islamique d'Iran. Et quand l'opportunité se présente, c'est-à-dire en 1980 quand un autre parti Baas est entré en guerre avec la République islamique, de 80-88, les frères du Baas syrien se retrouvent alliés ouvertement de la République islamique d'Iran, et était le seul pays arabe à l'être.

En attendant, il y a une épisode qui est croustillant, c'est-à-dire que pour rentrer les alaouites dans l'islam régulier, il y a un imam d'origine iranienne qui est venue s'installer au Liban, imam Moussa Sadr, qui a édicté une fatwa, et dans laquelle il disait (c'était en 1972, deux années après l'arrivé d'Assad au pouvoir) les alaouites sont une branche du chiisme. Et donc la réalité de cette alliance est une alliance entre diverses factions chiites qui s'étendent de la Caspienne jusqu'à la Méditerranée. Et derrière tout ça, on a assisté à une émergence dans un pays voisin qui était occupé par la Syrie, c'est-à-dire le Liban, à la création d'Amal, parti chiite et puis d'Amal islamique, parti chiite plus engagé, et puis du Hezbollah. Le secrétaire général adjoint de Hezbollah a écrit un livre (qu'on ne trouve plus sur le marché) dans lequel il disait que c'est dans le bureau de l'ayatollah Khomeiny, en novembre 1983, en citant les huit personnalités présentes, que Khomeiny de sa propre main a signé le décret créant le Hezbollah libanais.

Et donc on se retrouve ainsi avec une alliance fondamentale qui remonte à l'arrivée des alaouites au pouvoir en Syrie, mais qui n'a fait que se renforcer avec le temps avec une batterie d'alliances stratégiques qui se sont étendues jusqu'en 2006 et 2007.

Alors en 2005, il y a eu l'assassinat du premier ministre libanais Hariri et c'était le premier tsunami arabe qui n'a pas réussi, malheureusement. Et le tiers de la population du Liban est sorti dans la rue pour réclamer l'expulsion de l'armée syrienne. Il y avait un environnement international qui a pesé et l'armée syrienne s'est retirée du Liban. A ce moment-là, l'alliance s'est maintenue avec un avantage au Hezbollah, ça veut dire la branche iranienne alliée à la Syrie qui était plus déterminante au Liban.

Mais les voilà, ces alliés reprennent très vite la main avec la guerre de 33 jours de juillet-aout 2006 dans laquelle le Hezbollah avait pris l'initiative d'une attaque contre Israël et il a réussi à entretenir cette guerre pendant 33 jours. Au dernier jour il y avait autant de missiles qui tombaient sur Israël que pour huit jours. Et de ce fait, ils ont repris l'initiative, Syriens et Iraniens, ils se sont réinstallés en force au Liban et ont réussi à dicter leur volonté.

Donc 2008, c'est le Hezbollah qui vient s'installer dans le Beyrouth sunnite qui contrôle, qui après avoir mis la main sur les sujets stratégiques, la sécurité, la défense, les relations internationales du Liban, vient occuper Beyrouth-ouest, la partie sunnite, là où il y a beaucoup d'institutions gouvernementales et de menacer également la montagne druze, pour en fait dire je suis le pouvoir exclusif. Et cette réalité ce poursuit aujourd'hui.

Et nous voilà arrivés très vite à 2011 et le premier tsunami syrien et c'est là où cette alliance va éclater au grand jour. Nous avons vus les généraux iraniens, pasdarans, disant nous ne laisserons pas tomber le régime allié d'Assad. Nous avons entendu Khamenei (le guide suprême du régime iranien) dire qu'il y va de la survie de l'Iran que de maintenir le régime d'Assad en place. Et ont a vu arriver les pasdaran, les experts, les armes, les munitions, utilisant ou bien l'Irak par voie aérienne ou par voie terrestre ou encore l'aéroport de Beyrouth qui est entièrement, exclusivement sous le contrôle du Hezbollah, même si à l'aéroport on voit quelques képis libanais qui sont là simplement pour le décor et la vitrine. Et donc le prétexte côté libanais, côté Hezbollah c'est de défendre les sanctuaires chiites menacés en Syrie notamment celui du Seyeda Zeinab au sud du Damas, à côté de l'aéroport. En même temps, l'engagement iranien n'est pas simplement à travers les forces iraniennes, à travers notamment la force al-Qods qui est dirigée par général Ghassem Soleimani, homme fort du régime - je dirais numéro deux du régime iranien. Mais aussi ils ont envoyé beaucoup de milices, brigades irakiennes, celle d'Abulfazl Al-Abbas, les hommes de Maliki, des chiites Houssi yéménites. En bref c'est un peu l'internationale chiite du djihad au côté d'Assad.

Nous avons assisté à quoi depuis 2011 ? A l'engagement total de trois puissances : Assad représentant le régime syrien, la Russie qui protège la Syrie au conseil de sécurité en utilisant ses vétos avec l'envoi d'armes, de munitions, de soutien logistiques et même d'experts. L'Iran engagé avec des moyens financiers bien que sous embargo, sous sanctions avec les pasdaran, avec toute sorte de milices pro-iraniennes. Tout cela c'est pour avoir une politique de terre brulée.

La stratégie profonde est la suivante à mon sens. Je suis convaincue que l'Iran, le régime iranien sait au fond de lui que le régime d'Assad est cramé ; il ne peut ne pas le sauver. Il se dit la chose suivante : il y a une opportunité que nous constituions avec la Russie et Assad une troïka puissante, décidée, déterminée, qui n'a pas froid aux yeux et qui veut user de tous les moyens pour réussir.

Et en face, il y a le camp des mous, des Occidentaux, de ce brave et brillant avocat américain, qui s'appelle Obama, qui promet, menace et recule et une coalition occidentale qui était à 111 Etats amis de la Syrie et qui se retrouve maintenant à 10 ou 11 qui va en reculant. Il y a une opposition syrienne déstructurée, qui est divisée, qui est sans tête et qui n'a pas de vision. Et surtout cette alliance a créé quelque chose de monstrueux, ça s'appelle Daech. Ça veut dire l'Etat islamique en Iraq et au Levant. Les dirigeants de Daech ont été libérés des prisons d'Assad en décembre 2011. Alors que ces prisons regorgent d'innocents, le voilà, Assad, qui s'attendrit sur des djihadistes qu'il avait envoyés en Irak pour combattre des Américaines et il en a besoin. Donc il les remet sur marché pour leurs donner une deuxième vie, leur donner du nouveau du service.

Et les voilà qui sont rejoints par des frères iraniens, plutôt djihadistes installés en Iran ; parce que rappelez-vous cet épisode : en 2001, quand les Américains avaient attaqué Afghanistan, Al-Qaïda s'est scindé en deux parties. L'une s'est réfugiée au Pakistan et l'autre s'est repliée sur l'Iran. Et Al-Qaïda-Iran, qui s'est s'installé dans ce pays à partir de décembre 2001, a était embrigadé. Il est devenu la branche soumis des pasdarans et cette branche-là installée en Iran depuis fin 2001, a était envoyée en renfort pour structurer la force de Daech en Syrie. Et ils ont reçu en 2012 le renfort de 1500 évadés des prisons de Maliki en Irak qui ont par miracle traversé 800 km de désert sans être arrêtés. Et voilà que cette alliance entre Assad et les Iraniens qui s'offre son meilleur ennemi, c'est-à-dire ces horribles miliciens djihadistes interventionnistes de Daech, de sorte à balayer totalement l'opposition modérée et de faire apparaitre aux yeux du monde que vous avez à choisir entre le gentil Assad, le moderne Assad et ces horribles interventionnistes du Jihad. C'est une opération qui mérite d'être enseignée dans les écoles de guerre et dans la manipulation.

Aujourd'hui, je pense que ce qui se joue, ce n'est pas de gagner la guerre en Syrie, parce que la Syrie est détruite et chaque jour qui, passe la destruction va encore s'aggraver. Ce qui se joue c'est de garder une Syrie utile, une Syrie qui répond à la stratégie de l'Iran. Une Syrie qui dispose de la côte, des ports Lattaquié, Tartous, et qui avec cet alaouistan élargi, fait la jonction avec la Bekaa au Liban qui est le fief du Hezbollah. Si jamais cet alaouistan élargi pouvait définitivement garder Damas, je ne crois pas que ça soit possible, et bien ce sera du bénéfice.

Donc nous assistons aujourd'hui avec cette alliance avec aussi l'intérêt bien compris de Poutine qui veut garder le port de Tartous, dans cet alaouistan élargi, à la partition de Syrie. D'ores et déjà il y a le Kurdistan syrien, il y a l'alaouistan agrandi qui est en place et il restera le plus gros morceau de ce pays qui reste entre des mains indéfinies et qu'il va falloir demain contrôler.

Voilà l'alliance syro-iranienne, voilà le rôle de l'Iran dans ce drame syrien, dans cette boucherie à ciel ouvert qui se déroule en Syrie.

Le 15 mai 2014