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Pierre Rousselin : Le mandat de Rohani, desserrer l'étau des sanctions

Pierre Rousselin, Chroniqueur de politique étrangère au Figaro

Transcription de l'intervention de Pierre Rousselin au colloque de la FEMO à la Maison de la Chimie, le 11 février 2014:

J'étais en Iran en 1980, peu après la révolution, pour l'Agence France-Presse. Je vais surtout m'attacher à essayer de comprendre l'actualité. Comment on est arrivé où on en est, et où l'on va. Ce qui me paraît personnellement assez inquiétant, contrairement à l'impression générale très positive que l'on a tendance à entendre sur le dossier iranien. Je partirai des sanctions, puisque c'était le dernier sujet d'intervention.

Pierre Rousselin, Chroniqueur de politique étrangère au Figaro


Je pense effectivement qu'il y a eu un durcissement fort des sanctions, assez surprenant d'ailleurs parce qu'en général ce genre d'exercice est assez peu efficace. Or là, il y a eu des sanctions qui ont été beaucoup plus efficaces, je pense que c'est surtout par l'intermédiaire du secteur financier, qui a énormément gêné le régime iranien dans la dernière année. Et ce n'est pas étranger à l'élection du président Rohani que tout le monde célèbre en aout de l'année dernière ; je pense que le régime a réagi de cette façon-là en le faisant élire, parce qu'en Iran les élections ne sont pas des élections qui ne sont pas contrôlées, il ne faut pas être très naïf. Il y a eu plusieurs hésitations, on a vu pointer du nez l'ayatollah Rafsandjani qui reste un homme fort, en tout cas un des hommes forts du système iranien.

Pierre Rousselin, Chroniqueur de politique étrangère au Figaro


On a donc choisi Hassan Rohani comme nouveau porte-parole du régime. Alors il a un compte tweeter qui est assez bien alimenté, en anglais, j'imagine peut-être aussi dans d'autres langues, en tout cas il est très efficace et tout le monde le suit avec beaucoup d'intérêt. Son mandat a été explicitement défini : desserrer l'étau des sanctions. C'est ce à quoi il s'attache à faire avec son compte Twitter, etc. en se montrant sous un jour sympathique à l'opinion occidentale. Ce qui n'est pas très difficile compte tenu des souvenirs que l'on a de son prédécesseur. Donc il a réussi jusqu'à présent apparemment à séduire l'opinion occidentale.

Sur le pendant plus sérieux les négociations qui ont quand même été un fait -on l'oublie aujourd'hui, mais depuis 1979 l'Iran était au banc des nations. Tout d'un coup le régime iranien devient tout à fait acceptable et on discute avec lui de façon ouverte à Genève, etc. C'est un changement radical, de la part des États-Unis notamment. C'est un changement radical qui vient soutenir ce régime, on ne peut pas voir les choses autrement. C'est-à-dire que la légitimité que l'on accorde au régime iranien en s'asseyant à six devant lui, c'est quand même lui donner une importance considérable. Si on rentre dans la logique de l'impunité, pour le régime, c'est un succès considérable. Quelles sont les concessions qu'a faites le régime, personnellement j'ai du mal à les trouver. En revanche on accepte ce qu'on n'acceptait pas, à savoir l'enrichissement. Évidemment on suppose qu'il sera plafonné, mais chacun sait qu'une fois que vous avez les centrifugeuses, et qu'en plus on vous donne le droit de continuer à faire des recherches pour améliorer les centrifugeuses, il est assez facile de passer à un stade supérieur.

Donc sans entrer dans les détails, sans analyser la question de l'accord des négociations nucléaires, l'autre aspect des choses et qu'on ne parle que du nucléaire, comme cela a été souligné déjà. Qu'est-ce que ça veut dire, ça veut dire qu'on ne parle pas du reste. Si on ne parle pas du reste, ça veut dire que le reste- je ne dirais pas qu'on s'en fiche mais en tout cas ce n'est pas le problème - puisque le problème c'est le nucléaire. Là encore c'est un succès considérable de la part du régime d'autant plus qu'on ne peut pas dire que le régime soit sur le reculoir. En Syrie apparemment pour l'instant ce n'est pas tout à fait le cas. Donc, ce qui est très inquiétant c'est que le régime qui n'avait aucune légitimité internationale, tout à coup il en a une, qui n'a fait aucune concession sur le plan régional, et qu'il voit donc sa politique soutenue. Et on ne voit pas en quoi il serait amené à changer de politique.

On a parlé d'Irak. Effectivement c'est assez invraisemblable qu'une intervention américaine en Irak ait finit par placer à la tête de ce pays un régime pro-iranien. Il fallait quand même le faire ! En Syrie vous avez une négociation assez rocambolesque sur les armes chimiques qui fait que Bachar El-Assad dont tout le monde prétendait vouloir qu'il s'en aille, est là aussi légitimé par une négociation internationale. Et on se demande à quoi jouent les pays occidentaux. Puisqu'ils ont légitimé Bachar El-Assad, ils ont légitimé l'Iran, quel sera la suite des opérations ?

Alors, là il y a quelque chose qu'on ne comprend pas ! Je cherche, je ne prétends pas avoir compris, mais il me semble qu'il doit y avoir autre chose de plus important qui se passe pour expliquer cela. La seule chose que j'ai trouvé personnellement, ce sont les États-Unis. Les États-Unis, semble-t-il, en ont assez de faire la guerre à droite et à gauche, avec le succès que l'on sait, et ont décidé d'arrêter les frais, notamment dans cette région du monde qui est le Moyen-Orient.

Pourquoi ? Pour des tas de raisons. D'abord parce qu'ils ont autre chose à faire vis-à-vis de la Chine. Ils ont compris, contrairement à nous, que le monde avait changé et que l'avenir se faisait là-bas, en Asie. Et puis ils ont des ressources énergétiques qu'il n'avait pas, et qui vont les rendre indépendants de ce point de vue là. Donc je crois qu'on ne s'est pas assez rendu compte de cette révolution. Pour notre génération, on n'a pas connu ça. On a connu la doctrine Carter qui considérait le Golfe comme une région stratégique pour les États-Unis, mais maintenant c'est terminé. Il ne faut pas aller trop vite en besogne, mais ce retrait américain est quand même très important, il va se faire et il se fait.

C'est la seule façon d'expliquer ce qui s'est passé en Syrie, où cette histoire des lignes rouges qui est passée à la trappe, et aussi ces négociations me semble-t-il avec l'Iran. C'est-à-dire que si on se place d'un point de vue américain, on est certain que la priorité absolue ça va être d'essayer de faire en sorte que l'Iran n'ait pas la bombe atomique. J'imagine que si moi j'étais à Téhéran à la place du régime iranien, je penserai à ça et je jouerai de la carte du nucléaire. Je n'aime pas les théories de la conspiration, mais j'ai un peu l'impression que c'est ce qui se passe dans la tête des deux principaux protagonistes ; les Européens étant évidemment purement spectateur de ce jeu qui est surtout américano-iranien.

Voilà, quant à imaginer que le régime iranien puisse changer parce que Rohani est sympathique... Je ne vois vraiment pas comment on peut penser cela ? Sauf si on arrivait à trouver un moyen de faire en sorte que ce soit dans l'intérêt même du régime de changer d'attitude sur le plan régional. Mais je pense que, ayant été en Iran au début, dans les années 80, et puis après en 82, les Pasdaran sont tout de suite allés au Liban participer à la guerre contre l'ennemi, Israël. Là est nait le Hezbollah. Je pense que pour moi, l'interventionnisme du régime est consubstantiel à sa nature. Sans interventionnisme à l'extérieur de l'Iran, la république islamique n'existe plus, ou change de nature. Ce qui à mon avis n'est évidemment pas dans les cartes.

Alors, revenons aux Etats-Unis. En admettant qu'ils arrivent à un accord sur le nucléaire, c'est la question que se posent tous les acteurs dans la région: qu'est-ce qu'on va devenir? Parce que tout le monde se plaint de la présence américaine dans la région, mais qu'est-ce qui va se passer s'ils ne se mêlent plus des affaires du Moyen-Orient ? Les Israéliens commencent à se poser des questions sérieuses, les Saoudiens, n'en parlons pas... Et d'ailleurs ils se parlent entre eux, ils ont le même problème. Et je crois que l'on va retourner à une situation qui a été évoquée au début, la situation du temps du chah où il y avait cet équilibre régional qui se basait notamment sur l'équilibre entre l'Irak et l'Iran. Mais maintenant c'est sacrément plus compliqué parce que ce n'est plus l'Irak qui va servir de contrepoids à un régime comme celui de la république islamique. Puisse que l'Irak est dans la poche de Téhéran. On a bien reculé en l'espace d'une génération. Et il faut s'attendre à une déstabilisation encore plus grave.

Et je vous fais remarquer que je n'ai même pas encore parlé du problème chiite-sunnite, qui me semble être effectivement un peu surjoué en ce moment. En fait il y a des conflits d'intérêts entre puissances, alors il se trouve qu'il y en a qui vont des majorités d'un tel ou tel bord, mais le problème c'est que on va se retrouver dans une région sans "gendarme du monde", ce qui est peut-être très bien, mais est-ce que cela va créer des conflits considérables, avant qu'un équilibre s'établisse ? D'autant plus que vous n'avez plus l'équilibre à deux. Vous allez avoir un équilibre saoudien, il va y avoir les Turcs, les Israéliens etc. une régionalisation de la sécurité au Moyen-Orient qui va être très compliquée.

Pour terminer, je dirais simplement qu'il y a une raison fondamentale à mon avis qui fait que, en tout cas si j'étais à la tête de la république islamique, je ferai très attention, et je ne ferai aucune concession, c'est qu'il va y avoir des élections aux États-Unis en 2016 et que les Iraniens ne savent absolument pas ce qui va se passer après. Et ce serait totalement absurde me semble-t-il de s'attendre à des concessions de la part de l'Iran aujourd'hui.