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Que dire de la situation économique de l'Iran ?

Par Mohamad Amine, Chercheur associé à Fondation d'Etudes pour le Moyen-Orient (FEMO)

Dans la semaine qui a suivi l'accord sur le programme nucléaire iranien, une importante délégation allemande s'est rendue à Téhéran pour évaluer l'état de l'économie iranienne en prévision d'une augmentation des exportations vers ce pays. Rapportant ce déplacement, l'AFP note dans une dépêche que les sociétés allemandes ont les yeux rivés sur le marché iranien dans les domaines pharmaceutique, chimique, de l'ingénierie et des pièces de rechange automobiles.

Hubertus Berdent, de l'Institut économique allemand a expliqué à l'agence DPA : « Pour l'heure, les sociétés allemandes ne sont pas intéressées à créer des chaînes de production en Iran. » Selon lui, l'absence de stabilité politique en Iran est l'une des principales causes du désintérêt des investisseurs allemands pour investir directement dans ce pays. La chambre de commerce germanique a estimé de son côté que « pour investir en Iran il faut bien plus qu'une signature d'accord (nucléaire) ».

S'adressant à un groupe d'industriels et d'hommes d'affaires iraniens et allemands, le Vice-chancelier Sigmar Gabriel a mis l'accent sur un élément clé du développement des relations politiques et économiques de l'Iran avec l'Occident : « Nous, Allemands, ne pouvons accepter la remise en cause de l'existence d'Israël (...) Si cette question n'est pas résolue, l'Iran ne pourra pas établir à long terme de bonnes relations économiques avec l'Allemagne. »

Ces propos intervenaient au lendemain d'une déclaration du guide suprême iranien Ali Khamenei affirmant « que cet accord soit ratifié ou pas, nous n'allons pas renoncer à soutenir nos amis dans la région ». Il faisait référence au soutien de Téhéran au Hezbollah libanais et à d'autres groupes extrémistes, ainsi qu'à sa politique expansionniste au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.

Pour autant, le marché relativement important de l'Iran va inciter des visites analogues à Téhéran, notamment la délégation française du Medef au mois de septembre.

Mise en garde aux entreprises trop pressées d'aller en Iran

Toutefois le ministre de l'économie, Emmanuel Macron à conseillé aux entreprises françaises de ne pas se précipiter en Iran. "La précipitation n'est pas une réponse à la naïveté", a-t-il déclaré lors d'une audition à l'Assemblée nationale. "Je ne veux pas qu'on reproduise des cas du type BNP Paribas" qui pourraient avoir lieu avant l'entrée en vigueur du texte (de l'accord), a-t-il souligné.

Rappelons que La banque française BNP Paribas avait été condamnée en 2014 à payer 8,9 milliards de dollars d'amende pour avoir fait transiter de 2004 à 2012 par les Etats-Unis de l'argent au nom de clients soudanais, cubains et iraniens, en violation des embargos contre ces pays.

"Mon homologue Sigmar Gabriel s'est rendu ce week-end en Iran, ce qui est une réaction très rapide", a déclaré Emmanuel Macron. Mais "il faut regarder le calendrier de l'accord", a-t-il ajouté. "On n'aura rien avant la fin de l'année, le début de l'année prochaine".

Il est vraie aussi que même si l'accord sur le programme nucléaire a été conclu, le régime dominé par le Guide suprême n'a pas l'intention de changer de cape sur des domaines importants et essentiels pour la stabilité de l'Iran, à savoir les ingérences déstabilisatrices et bellicistes de ce pays dans la région et la question des droits de l'homme et des libertés fondamentales en Iran. Les ministres européens qui se dépêchent en Iran pourront d'ailleurs difficilement passer sous silences ces questions de principe, à moins de perdre leurs âmes et... l'avantage dans le rapport de force face à leurs interlocuteurs.

Mais le véritable problème est ailleurs. Malgré les appétits économique que suscite l'accord, conclu entre Téhéran et les grandes puissances après des années de négociation, les pronostiques sur une relance de l'économie iranienne ne sont pas aussi rose que le laisse entendre le gouvernement iranien et certains milieux qui sous l'apparence de chercheurs ou d'universitaires font du forcing en France pour la théocratie iranienne.

Si le marché iranien préfère de loin la technologie et les produits occidentaux à la qualité médiocre de la Chine, le délabrement prononcé de l'économie iranienne et son dysfonctionnement structurel constituent un obstacle majeur à des lendemains meilleurs. Une situation qui a considérablement entamé le pouvoir d'achat de la grande majorité des consommateurs iraniens.

A ceux qui avaient misé sur les avoirs bloqués de l'Iran à l'étranger, les déclarations du directeur de la Banque centrale iranienne le 15 juillet, ont certainement fait l'effet d'une douche froide. Estimé jusque là entre 120 à 150 milliards de dollars, il s'avère que le montant de l'argent bloqué de l'Iran, notamment au Japon, en Corée, aux Émirats et en Inde ne dépasse pas les « 29 milliards de dollars », selon Valiollah Seif.

Le ministre iranien de l'économie, Ali Tayebnia a pour sa part expliqué en partie, le 20 juillet, dans une interview à une agence gouvernementale, comment les avoirs iraniens se sont réduits en peau de chagrin. Il a avoué que 22 milliards de dollars de avoirs bloqués en Chine ne seront jamais restitués, puisqu'ils servent de fonds à des achats en cours.

Par conséquent, les sommes débloquées, additionnées à la manne pétrolière de l'année en exercice et de celle qui suivra, ne suffiront pas à apporter un changement substantiel. D'autant plus que selon le ministre du logement Abbas Akhoundi, « le gouvernement croule sous une dette de 70 milliards de dollars».

Devant cet état de fait, la grande question qui s'impose est de savoir si l'accord nucléaire et la levée des sanctions pourront ouvrir l'horizon à un redémarrage de l'économie iranienne.

Cet objectif est assorti d'une condition essentielle : la stabilité politique dans le pays. Or, le renoncement au programme d'armement nucléaire par le guide suprême pour une période d'au moins dix ans, risque d'avoir des effets inverses. En effet, le projet nucléaire constituait l'un des trois piliers du pouvoir dans le système iranien. En raison de ses caractéristiques structurelles et idéologiques, le régime du guide suprême repose foncièrement sur la répression sociale, l'expansionnisme régional (dit « exportation de la révolution ») et l'acquisition de l'arme stratégique. La disparition d'un pilier de cette pyramide déclenchera des effets déstabilisateurs pour le pouvoir iranien. Ce qui explique la longue réticence de Khamenei à accepter l'accord nucléaire.

De plus, la revitalisation de l'économie iranienne exige des réformes structurelles profondes pour écarter des problèmes dont les incidences ne sont pas négligeables : une croissance économique négative, un taux d'inflation élevé, une formation de capital minime, la monopolisation de pans entiers de l'économie par les gardiens de la révolution (Pasdaran), l'augmentation inquiétante des liquidités, le dysfonctionnement du système bancaire, la vétusté de l'industrie pétrolière, la crise des subventions et la crise de l'eau qui frappe durement le pays.

1- Une croissance économique négative

Depuis la fin de la guerre Iran-Irak (1980-1988) l'indice de croissance le plus bas concerne les dix dernières années ; à savoir les huit années du mandat de Mahmoud Ahmadinejad, qui a mis l'économie au service du guide suprême, et deux années d'Hassan Rohani qui n'est pas en mesure d'apporter les réformes structurelles nécessaires à l'assainissement de l'économie.

Durant cette période, l'économie iranienne a non seulement connu sa croissance la plus basse, mais son écart avec la croissance économique mondiale s'est considérablement creusé. En 2012, la croissance en Iran a plongé à - 6,8. Cette récession catastrophique, intervenue avant les sanctions internationales sur les exportations pétrolières, n'a pas de précédent dans l'histoire économique du pays, et fait encore ressentir ses effets.

Selon le rapport de janvier 2015 du FMI, la croissance économique en Iran est de 0,6 %. Or, pour sortir de la récession actuelle (notamment la crise du chômage avec 10 millions de demandeurs d'emploi) il faudrait atteindre une croissance d'au moins 6 %.

2- L'inflation

Le taux d'inflation en Iran ces dernières années souffre d'un sérieux écart avec la moyenne normale des variations du pays. Au dernier quart de siècle, l'inflation n'a jamais dépassé les 25 %. Mais au cours de la dernière décennie, il a franchi les 40 %. Certains économistes indépendants estiment que le taux d'inflation réel a même grimpé jusqu'à 60 %.

Récemment, le gouvernement a chiffré à 15 % l'inflation. Les experts indépendants la situent pour leur part autour de 25 %. Même si l'on opte pour le taux officiel, celui-ci laisse présager un taux d'inflation élevé pour encore quelques années.

3- La formation de capital

En raison de l'absence de sécurité pour la propriété privée et de sécurité politique, la formation de capital (formation brute de capital fixe - FBCF) a toujours été à minima en Iran. Mais durant la dernière décennie, cet indice a souffert d'un déclin encore plus prononcé.

Au cours des dix premières années du régime des mollahs, dont huit années de guerre avec l'Irak, la formation de capital a diminué pour atteindre un taux négatif. Les deuxième et troisième décennies suivantes, ce taux a atteint une moyenne de 7.2%. Or, ces cinq dernières années, il a chuté à 5 %. Selon le Vice-président iranien, Eshagh Jahanguiri, la formation de capital a chuté au taux négatif de -22 % en 2012.

Selon ce même responsable, la croissance du secteur pétrolier pour l'année 2012 affiche un taux négatif de -34% et la croissance industrielle un taux négatif de -12.4%. (Site de la présidence de la République, 18 mars 2014)

4- Un monopole en progression

C'est en 1991 que le programme de privatisation de l'économie iranienne a été enclenché avec l'amendement de l'article 44 de la Constitution et approuvé par le guide suprême. Selon les chiffres officiels, la valeur des usines et des sociétés industrielles de l'Etat concédées au secteur privé jusqu'en 2011, a atteint les $35 milliards. Or, 95 % de ces concessions sont intervenues au profit des Pasdaran, de la milice du Bassidj, des forces de sécurité de l'État et des fondations financières et commerciales sous le contrôle par du guide suprême.

Les Pasdaran et les fondations du guide suprême étendent également leur mainmise sur des pans entiers de l'économie iranienne par d'autres truchements. On estime que ce monopole concentre 50% du PIB iranien. Ils sont notamment exempts d'impôts et les profits tirés de leurs activités ont été consacrés au développement du programme nucléaire, aux financements du régime de Bachar El-Assad, du Hezbollah libanais, des Houthis au Yémen et des milices chiites extrémistes en Irak.

Dans la première décennie de leur pouvoir, les mollahs ont mobilisé l'économie iranienne au profit de la guerre contre l'Irak. La dernière décennie aura été au profit de la sauvegarde du pouvoir instable du guide suprême. Les gardiens de la révolution et l'institution du guide suprême ont durant cette période créé plusieurs institutions financières pour maîtriser le marché iranien. Cela a eu pour conséquence de ruiner le secteur privé du pays.

5- Le dysfonctionnement du système bancaire

En toute illégalité et en application des directives des hautes autorités du pouvoir, les banques iraniennes consacrent une part importante de leurs ressources au service d'un groupe restreint d'individus. Les prêts échus des banques iraniennes en 2012 ont été multipliés par 18 par rapport à l'année 2004. L'échéance de certains prêts a été prolongée et une partie considérable reste irrécupérable.

Les prêts échus en Iran sont quatre fois supérieurs à la moyenne internationale. Leur montant total s'élève à $80,5 milliards. Par ailleurs, sachant que le FMI chiffre à $402 milliards le PIB iranien, les prêts échus en constituent le cinquième.

Mais l'aspect le plus douloureux de la crise réside dans le fait que 58 % des prêts échus des banques iraniennes ne leur seront jamais remboursés. Il s'agit pour une part importante de crédits canalisés au profit des Pasdaran et des fondations du guide suprême. Une autre partie s'est à jamais volatilisée dans les malversations endémiques qui gangrènent l'économie iranienne. C'est pourquoi les banques souffrent aujourd'hui d'un déficit aigu de ressources financières et sont incapables de fonctionner normalement. Ceci a engendré une situation désastreuse où, au lieu de contribuer au développement de l'économie, les banques participent à pénaliser le marché du travail, le développement industriel et les investissements, conduisant à une hausse des liquidités et de l'inflation.

Les pronostics

L'accord du 14 juillet 2015 à Vienne a ouvert la voie à la levée des sanctions économiques et à partir de l'année prochaine les produits occidentaux pourront être exportés vers l'Iran. Toutefois il est à prévoir qu'en raison du dysfonctionnement structurel de l'économie iranienne, il sera difficile d'envisager à court et moyen termes le développement des relations économiques avec l'Occident. À long terme ce développement dépendra de changements politiques et économiques fondamentaux en Iran.

À ce sujet, on peut prévoir cependant que l'instabilité politique du pays ira en augmentant après le recul à conte-cœur du guide suprême sur le dossier nucléaire, une décision mal perçue par la base idéologique du régime. Par ailleurs, les agissements de Téhéran sur la scène régionale, notamment son expansionnisme au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, ainsi que la poursuite de la répression interne et les violations constantes des droits humains, constituent autant de freins politiques à l'amélioration de ces relations.

En outre, les spécialistes prévoient que la manne pétrolière n'augmentera pas substantiellement l'an prochain en Iran. D'autant plus que le marché mondial du brut restera excédentaire jusqu'à la fin de 2016. Les revenus provenant de la vente du pétrole durant cette année et la suivante, ainsi que les avoirs débloqués, devront être consacrés aux dépenses pressantes du gouvernement, en particulier pour combler le déficit budgétaire de 25 %. Un moyen d'alléger la pression. Par ailleurs, certains affirment à Téhéran qu'une partie de cet argent sera probablement utilisée pour la campagne législative de mars prochain.

Concernant la croissance économique, il est à prévoir qu'elle restera nulle ou à 2% dans le meilleur des cas. En effet, elle sera loin de pouvoir atteindre les 6 % nécessaires pour mettre fin à la récession économique.

Par ailleurs, le bas niveau de la « formation de capital », le niveau élevé de l'inflation, le dysfonctionnement du système bancaire, la crise de l'eau et l'état lamentable des installations pétrolières, ne sont pas près de s'améliorer.

Aussi, prévoit-on qu'en raison de l'inaction du gouvernement Rohani, la monopolisation de l'économie iranienne par les Pasdaran et l'institution du guide suprême se poursuivra et qu'une partie considérable des revenus du pays servira encore à financer le bellicisme régional et le terrorisme du régime.

Alors que l'Iran bénéficie d'immenses ressources économiques et humaines, l'amélioration de la situation économique et sociale de ce grand pays restera fortement liée à des changements politiques et des réformes économiques profondes. Des nécessités vitales que refuse le présent régime.

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PS: Voir également sur le journal Les Echos : N° 22004- mercredi 19 août 2015 article de Mohamad Amine, Iran : quelles perspectives économiques après la levée des sanctions ?