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Les Iraniens rejettent une supposée alternative monarchiste pour l’Iran

Par Nader Nouri

Malgré une répression féroce et plusieurs pendaisons, le mouvement de protestation pour le changement affiche une résilience inattendue en Iran. Toutes les raisons de cette révolte protéiforme déclenchée en septembre restent d'actualité. D'abord la soif de liberté et ensuite l'urgence de s'émanciper du joug d'un régime qui appauvrit la population en dilapidant les richesses du pays dans la corruption systématique et les ambitions militaires et nucléaires de ses dirigeants islamistes. La valeur de la monnaie iranienne diminue comme peau de chagrin et l'inflation atteint les 60%. L'enjeu de la crise actuelle pour le régime est d'abord une question de survie.

Pour réussir à renverser la dictature d'Ali Khamenei, les opposants doivent fédérer leurs forces et présenter une alternative viable qui puissent incarner les aspirations légitimes du peuple iranien. Un front uni des opposants, auquel appellent sans cesse les Iraniens en révolte, est nécessaire pour garantir la réussite de l'alternative tant pour renverser la dictature que pour transférer la souveraineté au peuple après sa disparition.

L'union des forces de l'opposition requiert un engagement sincère et résolu des groupes et personnalités de l'opposition autour d'un projet susceptible d'obtenir le consensus de la majorité des Iraniens, en l'occurrence un système républicain, démocratique et laïque, tourné vers l'avenir.

Or, parallèlement à l'affaiblissement irréversible du pouvoir en place par le soulèvement populaire de ces derniers mois, on a pu récemment constater le lancement opportuniste à Washington d'un projet d'alliance controversé qui semble avoir suscité la division plutôt que l'union. L'alliance de quelques opposants en exil autour de Reza Pahlavi, le fils de l'ancien dictateur iranien, a vite fait réagir l'opinion publique qui voit d'un mauvais œil les prétentions du fils du Chah à incarner la relève aux ayatollahs.

Plusieurs facteurs contribuent à la disqualification de Reza Pahlavi pour ce rôle. D'abord parce que ce dernier n'a pas renoncé à son titre de prince héritier, comme il n'a jamais renoncé officiellement à son serment, en novembre 1980, en tant que successeur de son père, décédé quelques mois plus tôt, au trône impérial et a refusé de proclamer une adhérence claire et définitive au système républicain, ses principes et valeurs. Sur son site on peut lire : « Reza Pahlavi croit fermement à l'égalité des droits inhérents entre les hommes et les femmes, et à ce titre, il a déclaré que ses filles Noor, Iman et Farah sont successivement ses héritières. »

Le retour à la monarchie est perçu par de nombreux iraniens comme une régression et une volte-face devant les valeurs de la révolution antimonarchique de 1979 qui a jeté dans la poubelle de l'histoire le système de monarchie héréditaire qui a gouverné l'Iran depuis les temps ancestraux. Une fois débarrassé, aucun peuple dans l'histoire n'a jamais accepté de revenir à cette forme d'autocratie de son gré après l'avoir renversé. A fortiori dans un pays comme l'Iran qui n'a jamais eu un système de gouvernance démocratique et n'est en rien comparable aux monarchies constitutionnelles en Occident. Même en Europe, lors du référendum de 1974, près de 70% des Grecs se sont prononcés pour l'abolition de la monarchie, bien que renversée par un coup d'Etat militaire en 1967 mettant fin à la dynastie instaurée en 1863, et l'instauration d'une république démocratique qui, aujourd'hui, fait partie de l'Union européenne. Même réflexe au Moyen-Orient et en Asie, (l'Egypte, l'Irak, l'Afghanistan..) où les tentatives de restauration de la monarchie ont échouées.

Autre élément essentiel qui discrédite le « prince héritier » aux yeux des Iraniens, c'est surtout son refus de dénoncer les exactions sous le règne de son père et de prendre ses distances avec les responsables de l'infâme police secrète du Chah qui évoluent aujourd'hui librement dans son entourage. Pendant des dizaines d'années, le Chah et sa SAVAK ont embastillé, brutalement torturé ou assassiné les militants politiques opposés à la dictature de ce dernier et des intellectuels dissidents en Iran. Aujourd'hui, ce n'est pas une critique tardive des exactions de son père, qu'il qualifie souvent tout simplement comme « des erreurs d'un passé lointain», arrachée du bout des lèvres qui va convaincre les Iraniens de la sincérité de son auteur, lui qui prétend vouloir l'instauration d'une démocratie à l'occidental dans son pays à l'instar de Khomeiny qui prétendait à Paris vouloir instaurer une démocratie sans préciser les contours.

Les Iraniens ont récemment été sidérés par la présence d'un tortionnaire notoire et ancien haut responsable de la SAVAK chargé de réprimer l'opposition interne, Parviz Sabeti, à un rassemblement (le 12 février à Los Angeles) des partisans de Reza Pahlavi. Au cours des 44 dernières années, ce numéro deux de la SAVAK n'était jamais apparu en public après avoir fui le pays en 1979. Un appel a immédiatement été lancé par de nombreux Iraniens de la diaspora pour des poursuites judiciaires à son encontre pour crimes contre l'humanité.

Autres éléments de discrédit : ses liens avec les Gardiens de la révolution (le CGRI) sur lesquels il affirme miser pour opérer une transition pacifique du pouvoir en Iran ! « Je suis en contact bilatéral avec les militaires, les Gardiens de la révolution et les Bassidji [milices liée au CGRI]. Nous communiquons. Ils signalent qu'ils sont prêts à coopérer et expriment leur volonté de s'aligner sur le peuple, » a-t-il déclaré à la chaine Iran International. Ces propos sonnent faux aux oreilles des Iraniens qui ont vu et subi durant presque six mois la répression, les crimes et les exactions de la milice Bassidji et des Pasdarans à l'encontre des manifestants pacifiques.

De plus, Reza Pahlavi a été invité à maintes reprises à restituer au peuple iranien, en guise de bonne volonté et pour se distancier des méfaits de son père, les milliards de dollars détournés par son père sur des comptes à l'étranger, ce qu'il a refusé bien évidemment.

La réalité est que le projet monarchique n'a pas de pied en Iran et relève avant tout d'une opération médiatique soutenue par des chaines de télévision en langue persane à l'étranger, notamment « Iran Internationale TV» financé grassement par le royaume saoudien.

Par ailleurs, les dirigeants du régime actuel ne sont pas étrangers à cette promotion soudaine de l'option monarchiste, qui outre d'un discours plein d'ambiguïtés sur les méthodes et mécanismes de « la transition » vers un autre système de gouvernement, rejette « toute usage de la force» pour renverser un régime dont la violence est extrême et a si peu de considération pour la vie humaine n'est plus à démontrer, et cela alors qu'il n'a même pas d'organisation structurée sur le terrain, une nécessité absolue pour le changement du régime sans passer par le chaos. Il s'agit donc tout simplement d'une machination orchestrée par quelques stratèges dont certains directement liés au pouvoir actuel pour détourner les énergies libérées du peuple iranien vers des voies bénignes et sans danger pour le régime dont le seul souci se résume à son maintien au pouvoir, coûte que coûte. Il s'agit aussi d'un moyen pour décourager les Iraniens des perspectives réelles pour un avenir et une vie meilleure. Ainsi, le choix devant eux serait celui entre le mal ou un moindre mal : une dictature « mollarchique » ou une autocratie monarchique. Mais les Iraniens sont parfaitement conscients qu'ils méritent mieux après tant de sacrifices. Les efforts voulant restituer la monarchie en Iran se font sans prendre en compte l'intelligence du peuple iranien qui a déjà traversé l'expérience douloureuse du détournement de sa révolution démocratique par l'Ayatollah Khomeiny en 1979. On connait la suite.

Nader Nouri est un ancien diplomate iranien à Paris. Il est le secrétaire général de la Fondation d'Etudes pour le Moyen-Orient (FEMO)