PROCÈS FACTICE, UN OUTIL DE RÉPRESSION
SARA NOURI, avocate au barreau de Paris
Le
jeudi 28 mars 2024, s'est tenue à Paris une conférence à l'initiative de la
Fondations d'Etudes du pour le Moyen-Orient (FEMO) sur désinformation comme
moyen de survie pratiquée par le pouvoir iranien. L'intervention qui suit a été
faite lors de cette conférence.
Je vais, pour ma part, faire une intervention sur un aspect un peu plus juridique de la désinformation, qui est le simulacre judiciaire du régime iranien utilisé comme socle pour ses plans stratégiques. Puisqu'en fait, le 29 juillet 2023, le Tribunal pénal de Téhéran a diffusé une annonce publique qui révèle l'identité de 104 personnes associées au mouvement d'opposition principal, l'OMPI. Ces individus ont, pour la plupart, quitté l'Iran depuis plus de trente ans. Et selon une déclaration du pouvoir judiciaire, le régime a formellement convoqué les membres fugitifs affiliés à l'OMPI afin de désigner une représentation légale pour leur participation aux procédures judiciaires établies. Il faut savoir que la plupart de ces 104 personnes citées par l'appareil judiciaire sont actuellement réfugiées en Albanie. Le régime a déclaré tous les membres de l'OMPI comme Mohareb, ce qui signifie « en guerre contre Dieu », et les a donnés comme sujets à punition et exécution depuis plus de 40 ans. Selon des organisations internationales, au cours des quatre dernières décennies, vous avez des dizaines de milliers de membres et de partisans de l'OMPI qui ont été exécutés en Iran sous des accusations infondées telles que Moharebeh qui signifie : inimitié contre Dieu.
Ces exécutions ont eu lieu sommairement, sans aucun procès ou dans ce qu'on peut appeler un simulacre de procès, puisque qu'ils ne durent que quelques minutes. En décembre 2009, Ebrahim Raïssi, actuel président du régime, a déclaré que toute personne affiliée à l'OMPI serait considérée comme ennemie de Dieu, car l'organisation en elle-même est considérée comme ennemie de Dieu. La punition pour un ennemi de Dieu, dans le régime des mollahs, c'est l'exécution. En 1988, en l'espace de quelques mois, près de 30 000 prisonniers politiques ont été massacrés à la suite d'un décret de Khomeiny qui prévoyait que tout prisonnier restant ferme dans son soutien à l'OMPI devait être exécuté. Raïssi, procureur adjoint à l'époque, était directement chargé de l'application de ce décret à Téhéran.
C'est un procès absurde et totalement fabriqué que ce procès des 104. Pourquoi ? Parce que la première session de ce procès, initiée dans la branche 11 du Tribunal pénal de Téhéran le 12 décembre 2023, a été clairement une mascarade avec même pas une apparence d'indépendance ou d'impartialité. On a un soi-disant juge qui est un religieux nommé Dehghani. Sa qualification des procédures judiciaires est centrée sur ce qu'il appelle les monafeghine terroristes. Le terme monafeghine signifie hypocrite, et c'est le terme officiel utilisé par le régime en Iran pour désigner les Moudjahidine du peuple. Et ce juge a employé tout de suite un ton de partialité et un manque de légitimité dès le début de ce procès. Vous avez un avocat principal qui a été nommé, M. Hamid-Reza Mohammadi, qui est un proche confident du chef du judiciaire, M. Gholam-Hossein Mohseni-Ejei. Mohamadi, est également le chef du bureau des forces paramilitaires et répressifs, nommé Bassidj, au barreau de Téhéran. Vous voyez déjà l'imbrication des personnes dans ce simulacre de procès.
« Le pouvoir judiciaire en Iran, est non seulement dépourvu d'indépendance,
mais c'est aussi un outil de répression systématique »
Le pouvoir judiciaire en Iran est non seulement dépourvu d'indépendance, mais c'est aussi un outil de répression systématique. Pourquoi ? Pour certaines personnes, ce sera un rappel, mais pour d'autres, peut-être vous ne le savez pas, il n'y a absolument, comme on l'entend dans nos systèmes judiciaires modernes, aucune garantie des droits de la défense, de l'indépendance, de l'impartialité d'un tribunal dans le système iranien. Il n'y a aucune indépendance puisque déjà, vous n'avez pas de séparation des pouvoirs à proprement parler dans le système du régime des mollahs.
En fait, le système judiciaire va exécuter de manière non équivoque, très claire, les directives du guide suprême. Et vous verrez qu'à la tête du système judiciaire iranien, vous avez les personnes qui sont le plus impliquées à un haut niveau comme suspects dans des crimes à dimension internationale qui sont qualifiés de crimes de guerre, crimes contre l'humanité ou génocides.
Il faut vraiment comprendre que le système judiciaire iranien n'est pas du tout basé, comme les systèmes que vous voyez dans nos démocraties modernes, sur les principes développés par la Déclaration universelle des droits de l'homme et notamment par le Pacte international sur les droits civils et politiques.
Vous n'avez pas de principe de présomption d'innocence dans le système judiciaire iranien, vous n'avez pas de droit de la défense, vous n'avez pas de personnalisation des délits et des peines et vous n'avez pas de principe de légalité des délits et des peines non plus, qui sont pourtant des principes essentiels dans les systèmes judiciaires et notamment dans les tribunaux, dans les juridictions pénales de nos systèmes de démocratie occidentale.
Vous avez aussi, la discrimination sexuelle dans le système judiciaire iranien qui est la pierre angulaire de ce système, puisqu'en fait, par exemple, le témoignage d'une femme vaut moitié moins que celui d'un homme. Vous avez des attaques, des agressions sexuelles systématisées envers les femmes, qui sont un moyen de torture qui est malheureusement extrêmement classique dansle système judiciaire iranien.
Je voudrais juste dire deux mots s'agissant des droits de la défense, puisqu'étant moi-même avocate, sur la question du Barreau de Téhéran, le Barreau iranien. Vraiment, ce Barreau iranien, c'est un peu le symbole de cette décrépitude d'indépendance qui n'a fait qu'augmenter avec les années. Aujourd'hui, c'est une organisation qui, au départ, est censée être indépendante.
Normalement, dans un système judiciaire, on a droit à un avocat indépendant. Mais en fait, cet organe a été réduit à néant avec les années, puisque tous les avocats qui, par exemple, étaient sympathisants ou affiliés d'une manière ou d'une autre à l'organisation des Moudjahidine du peuple ont été condamnés à être exécutés. Vous avez les tribunaux révolutionnaires du régime qui ont systématiquement prononcé des interdictions d'exercer à tous les avocats qui n'étaient pas alignés avec l'idéologie du régime. Ce système a été complètement sclérosé et on en arrive aujourd'hui à un barreau qui est devenu une sorte d'appareil judiciaire auxiliaire de justice du régime des mollahs, où vous avez maintenant des dizaines d'avocats qui sont emprisonnés pour, notamment, avoir défendu des participants au soulèvement de 2022.
Un agenda politique derrière un procès
Pourquoi cette parenthèse ? Cette parenthèse pour moi était importante parce que ça vous montre comment, lorsqu'un procès comme ça est lancé par le régime des mollahs, on ne peut pas le comparer à un procès tel qu'il peut être organisé avec des garanties basées sur l'état de droit. Pourquoi ce simulacre de procès ? Quel est l'intérêt du régime ? L'intérêt, il a plusieurs casquettes et on voit un peu l'agenda du régime des mollahs, dévoilé à travers ce simulacre de procès. En fait, le régime fait face à une pression persistante d'une société qui est en colère, il fait face à des protestations croissantes du peuple. Ce sont ces protestations qui affaiblissent le régime et du coup, il utilise des manœuvres judiciaires orchestrées contre l'OMPI, qui est sa seule opposition crédible.
"Fabriquer un dossier juridique pour le présenter aux pays européens pour imposer des restrictions aux activités de l'OMPI dans les pays occidentaux, avec un accent particulier sur la France et l'Albanie"
Ainsi, cet agenda a plusieurs objectifs.
• D'abord, c'est chercher à contrer le soutien croissant de la jeune génération iranienne pour la ligne de l'OMPI. Parce que contrairement à ce qu'essaie de faire croire le régime, vous avez effectivement dans la jeunesse de plus en plus de soutien envers l'OMPI. Donc, que fait-on pour contrer ça ? On lance des accusations infondées dans le cadre de campagnes de diabolisation contre la résistance iranienne.
• Le deuxième point, la deuxième manœuvre, c'est de fabriquer un dossier juridique pour le présenter aux pays européens qui vise à influencer les décisions des États dans le sens d'imposer des restrictions aux activités de l'OMPI dans les pays occidentaux, avec un accent particulier sur la France et l'Albanie.
• Troisième manœuvre, le régime utilise Interpol pour émettre des mandats d'arrêt contre ces 104 individus associés à l'OMPI. J'y reviendrai sur ces tentatives via Interpol.
• L'avant-dernière manœuvre : préparer le terrain pour des attaques terroristes potentielles contre les membres de l'OMPI et/ou du CNRI, en invoquant justement le prétexte de défendre le régime contre ces dits terroristes.
• Et le dernier argument, il est fort probable aussi que le régime essaie de contrer ce qui commence à se construire, à savoir un procès d'envergure internationale contre lui, pour notamment dénoncer les crimes contre l'humanité et les génocides qu'il a commis, puisque l'étau commence vraiment à se resserrer d'un point de vue international autour du régime iranien.
• Et notamment, on peut tout à fait envisager que cet agenda, c'est également une réplique à un procès qui est celui de M. Hamid Noury, qui a été condamné à perpétuité par un tribunal suédois pour avoir participé justement au massacre des 30.000 prisonniers politiques de 1988. On a quand même un agenda du régime assez fourni.
L'instrumentalisation d'Interpol
Je reviens sur ces mandats d'arrêt lancés à Interpol, parce que c'est très intéressant. Vous avez des accusations du régime contre les membres de l'OMPI et la coalition politique du CNRI, le
Conseil national de la Résistance iranienne. Ces accusations sont fallacieuses et sans fondement, totalement discréditées, ne serait-ce que par leur contenu. Pour vous donner un exemple, il est indiqué dans une décision judiciaire du 6 juin 2002 que M. Mohamad Mohadessine, qui est président de la commission des Affaires étrangères du CNRI, aurait été à Téhéran au mois de février 2000 pour tirer des obus de mortier contre la résidence du guide suprême Ali Khamenei !
Beaucoup de gens pourront témoigner que M. Mohadessine n'était certainement pas à Téhéran en février 2000 pour ce type d'actes qui paraît insensé, bien sûr. Et des accusations similaires ont été dirigées via Interpol toujours contre le représentant du CNRI dans les pays scandinaves qui est M. Parviz Khazai. Vous avez plus d'une centaine de réclamations similaires dirigées vers Interpol, qui ont été faites par le régime contre des membres de l'OMPI et qui ont toutes été rejetées.
En 2016, lorsque les membres de l'OMPI ont été relocalisés [depuis l'Irak] en Europe, Téhéran a tenté sans succès d'utiliser maintes fois ces notices rouges pour l'arrestation et l'extradition de ces individus. Et à chaque fois, ça a fait chou blanc, c'est-à-dire que ça n'a jamais fonctionné. Même chose sur les procédures françaises. En France, depuis le début des années 2000, le régime iranien, par l'intermédiaire de ses agents, a déposé au moins six plaintes différentes contre des responsables de l'OMPI et du CNRI résidant en France avec des allégations d'instruction infondée, chacune affirmant que l'OMPI était responsable d'un acte terroriste présumé. À cet égard, le procureur général du régime, parmi d'autres responsables, a été directement impliqué dans la compilation d'un énorme dossier fabriqué de documents comprenant des témoignages factices pour étayer ces fausses allégations. Le résultat en France, c'est que toutes ces plaintes, toutes ces affaires ont été classées soit par les juges d'instruction qui en ont été saisis, soit par le parquet. Le régime clérical, par l'intermédiaire de ces agents, a fait appel de ces décisions. Et assez récemment, le 5 avril 2023, la Cour d'appel de Paris déboute de nouveau le régime, par l'intermédiaire de ses agents, de ces plaintes.
On peut notamment lire dans cet arrêt, je cite: « Entre 2003 et 2009, le doyen des juges d'instruction du tribunal de grande instance de Paris a été le récipiendaire de cinq plaintes avec constitution de parties civiles et le procureur de la République près ce tribunal d'une plainte simple au nom de ressortissants iraniens, victimes ou familier de victimes d'attentats ou d'assassinats supposés avoir été perpétrés par l'organisation des Moudjahidine du peuple iranien. »
L'arrêt précise également qu'il a été indiqué à deux reprises par le ministère du Renseignement que les auteurs présumés de l'attentat se trouveraient en France, sans qu'aucune preuve matérielle n'en soit rapportée. Et on en revient à ce point sur lequel je veux insister, c'est que vous avez compris que l'inscription d'une organisation sur les listes terroristes, que ce soit celle de l'Union européenne ou des États-Unis, ce sont des décisions politiques et que systématiquement, c'est la justice, ce sont les juridictions qui ont permis de laver la réputation de l'OMPI et de retirer l'organisation de ces listes. Là, vous voyez finalement que c'est la même chose.
En fait, c'est le régime qui est l'auteur de tentatives de simulacre judiciaire, que ce soit un simulacre de procès qu'il essaie lui-même de construire de toutes pièces en interne ou alors de le tenter par le biais de plaintes dans des systèmes démocratiques judiciaires comme celui de la France. A chaque fois, cela se solde par un échec.
C'est très important parce que la justice dans nos pays est indépendante. Lorsqu'elle rejette ces affaires-là, ça a une certaine importance. Finalement, ce qu'on peut retenir, c'est que le plan du régime des mollahs a été exposé par ces manœuvres, parce que c'est après les soulèvements de 2017 que le ministère des Affaires étrangères de Téhéran a commencé à lancer cette stratégie visant à réinscrire l'OMPI sur la liste des organisations terroristes de l'Union européenne. Et pour cela, il a estimé qu'il était nécessaire d'établir des fondations juridiques internes et de créer des conditions politiques favorables à l'étranger.
Je cite les termes du ministère. Cette planification stratégique, elle a été révélée le 7 mai 2023, lorsqu'un groupe iranien nommé « Ghyam ta Sarnegouni », ce qui signifie en français « soulèvement pour le renversement », a eu accès à des documents internes du ministère des Affaires étrangères.
Et en fait, on lit dans des dizaines de procès-verbaux de réunions interministérielles que le régime a conclu que comme il n'avait pas les cadres juridiques nécessaires en interne pour reclassifier l'OMPI sur la liste noire de l'Union européenne, cette tentative, juste avec son cadre juridique interne, était impraticable. Il a initié des procédures judiciaires fictives pour créer ce cadre juridique interne et rassembler les documents et les preuves nécessaires sur l'OMPI, ce qui permettrait de faciliter sa réinscription sur la liste des organisations terroristes. C'est l'utilisation d'un système, d'un simulacre judiciaire pour en venir à son agenda politique. Finalement, le 30 njuillet 2023, un mois après l'intervention de la police albanaise sur le quartier général de l'OMPI à Achraf 3, le média Jam-e-Jam, qui est contrôlé par le régime, a rapporté, je cite: Après un manque d'effort dans le domaine de l'extradition des Hypocrites, (qui correspondent pour eux aux membres de l'OMPI), il semble que maintenant, l'Iran soit actif contre les Hypocrites dans plusieurs domaines, tant en communiquant les positions de Téhéran avec le gouvernement d'Albanie qu'à travers des consultations avec Interpol. Les institutions nationales compétentes, y compris le ministère du Renseignement, ont préparé des documents pour l'émission de sentence contre les membres de cette organisation terroriste.
Et maintenant, leur inculpation officielle a été publiée par la voie judiciaire.
Donc, on revient encore une fois toujours autour de cette désinformation, de ce cercle vicieux, qui est à la fois utilisé par des personnes d'influence formées ou manipulées dans cet objectif et ici, en utilisant le système judiciaire, qui n'en est pas un, sous le régime des mollahs, pour avoir toujours cet objectif de désinformation.