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Iran : la fin de la grande illusion

Par Nader Nouri

Depuis plus de 30 ans, l'approche des Occidentaux vis-à-vis de la théocratie au pouvoir en Iran a été fondamentalement façonnée par l'espoir de voir une faction dite réformatrice l'emporter sur les « radicaux ». Faisant constamment abstraction de la nature et des racines idéologiques du régime, cette vision a été à l'origine de nombreuses erreurs stratégiques.

Par Nader Nouri

Verrouillées d'avance au profit d'Ebrahim Raïssi, le candidat favori du « Guide Suprême » Ali Khamenei, les élections présidentielles prévues en Iran pour le 18 juin vont être, de toute évidence, largement ignorées par la population. Dès l'annonce des candidatures retenues par le Conseil des gardiens de la Constitution, institution contrôlée par Ali Khamenei, une vague sans précédent d'appels au boycott de ces élections a submergé le pays. D'autant qu'Ebrahim Raïssi, 60 ans, qui a passé sa carrière au sein du pouvoir judiciaire dès l'âge de...19 ans, est un « mollah-procureur » très mal-réputé et accusé de graves violations des droits de l'homme, dont l'implication directe dans le massacre des dizaine de milliers des prisonniers politiques en 1988, et pour son rôle dans la répression violente de nombreuses manifestations de protestation de ces dernières années.

Ainsi ne pouvant plus tolérer aucune brèche au sein du système face à une population désabusée, Khamenei opte pour la voie de la crispation de son régime pour le rendre « monolithique » en éliminant une faction entière du pouvoir, celle dite de « réformateurs » malgré la fidélité maintes fois prouvée de ses animateurs à sa personne et aux principes fondateurs de la « République islamique ».

Outre la crise de légitimité qu'illustre la faiblesse du taux de participation, cette crispation risque d'avoir des conséquences graves dans un pays laissé exsangue par des crises économiques, sociales, une corruption endémique du pouvoir et dernièrement la gestion calamiteuse de l'épidémie du Covid-19 et alors que la jeune société iranienne aux espoirs déçus est en pleine ébullition.

Les nombreux habitants du pays, notamment la jeunesse et les femmes, sont désormais persuadés que ces élections ne sont qu'un habillage pour permettre la préservation du noyau du pouvoir entre les mains d'un seul homme, non-élu, d'une élite politique sclérosée, corrompue et incompétente et des Gardiens de la révolution, corps d'armée idéologiquement inféodé au système.

La mise en place d'une dynamique protestataire et la perspective de futures émeutes d'ordre économique pouvant se transformer rapidement en soulèvement contre le « système » comme ceux des années 2009, 2017 et 2019, sont dores et déjà perceptibles.

Par ailleurs, le coup de force d'Ali Khamenei aura des conséquences sur le plan régional et international.Depuis plus de 30 ans, l'approche des Occidentaux vis-à-vis de la théocratie au pouvoir en Iran a été fondamentalement façonnée par l'espoir de voir une faction dite réformatrice l'emporter sur les « radicaux ». Faisant constamment abstraction de la nature et des racines idéologiques du régime, cette vision a été à l'origine de nombreuses erreurs stratégiques, à travers des concessions sans cesse renouvelées dans de nombreux domaines, malgré le comportement de plus en plus violent et agressif de Téhéran à l'intérieur comme à l'extérieur du pays.

L'heure est à la désillusion. Les pays occidentaux doivent se rendre à l'évidence et au fait qu'en Iran ils auront bientôt à faire avec la triste perspective d'une répression accrue de la population et un président rudement antioccidental, qui de plus, risque d'avoir à répondre devant les instances internationales des graves violations des droits humains survenues dans son pays.