Iran : l’illusion d’un retour à la monarchie
Reza Pahlavi et ses partisans croient-il vraiment que son statut de fils d'un dictateur déchu lui confère une légitimité ?
Par Nader Nouri
Le régime des mollahs au pouvoir en Iran depuis plus de quatre décennies vit un moment crucial de son existence néfaste depuis qu'un grand soulèvement sans précédent l'a confronté au plus grand défi depuis son avènement. L'impasse est total sur tous les domaines, politique, social et surtout économique. Embourbée dans de nombreuses crises profondes, la théocratie fondée par l'ayatollah Khomeiny en 1979 est notamment face à une colère populaire inextinguible, auxquelles elle n'a aucune réponse sauf plus de répression, des pendaisons, d'embastillement des opposants et des activistes de la société civile, séquestrations, disparitions forcées, prises d'otages, etc.
Le soulèvement populaire déclenché en septembre 2022 par la mort de Mahsa (Jina) Amini, une jeune femme de 22 ans en détention pour un voile « porté incorrectement », a rapidement pris de l'ampleur, les Iraniens qui sont descendus en masse dans la rue appelant au renversement de la dictature. Cette révolte s'est poursuivie pendant des mois sous forme de manifestations de masse, de grands rassemblements, l'attaque des symboles du pouvoir politique, même ceux considérés comme « religieux », opérée par des unités de résistance formées de jeunes militants et militantes prêts à sacrifier leur vie pour faire chuter la tyrannie et instaurer une vrai république laïque basée sur des principes humanistes, de la démocratie et de la liberté. Le régime a répondu selon son habitude par une répression féroce qui a fait plus de 700 morts, dont quatre jeunes manifestants pendus pour de fausses accusations de meurtre et d'atteinte à la sécurité nationale, et des centaines de blessés. Plus de 30000 manifestants ont été arrêtés, souvent torturés avant d'être emprisonnés, selon les rapports des ONG de défense des droits de l'homme.
Dans ces conditions et alors que malgré la répression et les tentatives des ayatollahs et de leur «Corps des gardiens de la révolution islamique/CGRI » projetant une fausse image de normalité, le mouvement de protestation pour le changement fait preuve d'une résilience inattendue ; la situation économique et sociale du pays s'est aggravée au cours des six derniers mois, et tout porte à croire qu'une explosion sociale d'une puissance supérieure pourraient avoir lieu à tout moment. La communauté internationale ne peut pas se permettre d'ignorer l'aspiration d'une société en quête de dignité humaine, limiter le sort d'un immense pays aux 85 millions habitants et d'une importance stratégique grandissante au seul dossier nucléaire d'un Etat islamiste condamné à disparaître tôt ou tard, selon des analystes chevronnés et plus d'un décideur politique en Occident. Ainsi et alors que l'Occident s'adapte aux nouvelles réalités de l'Iran, la question d'une alternative démocratique se pose plus que jamais.
C'est d'autant plus vrai que des figures marginales et des petits figurants qui ont été largement inconséquents pendant des années se prétendent aujourd'hui parmi les opposants crédibles du régime. Le plus insolite d'entre eux est Reza Pahlavi, le fils du dernier chah déchu en 1979 suite à un soulèvement populaire majeur, résultat des années d'indignation et de mécontentement face à la corruption et l'oppression de ce dernier, sa cour impériale et sa redoutable police politique, la fameuse SAVAK.
S'il est vrai que l'Iran de l'époque du chah était très différent de l'Iran d'aujourd'hui, il serait erroné d'en conclure qu'il s'agissait d'une époque plus humaine ou plus tolérante, ou d'une époque à laquelle les Iraniens souhaitent revenir après avoir vécu les ravages du système islamiste. Il convient d'insister sur le fait que personne à l'époque du soulèvement antimonarchique n'avait prévu que la fin de règne de la dynastie dictatoriale des Pahlavis entraînerait près d'un demi-siècle d'un régime islamiste ultraviolent aux mains des mollahs.
D'une manière clairement opportuniste, sentant le climat de fin de règne en Iran, le 10 février 2023 à Washington, la création d'une coalition officieuse autour de Reza Pahlavi, le fils de l'ancien dictateur, a été déclarée pour s'effondrer… deux mois plus tard ! Cause principale : l'insistance de ce dernier pour faire entrer plusieurs royalistes purs et durs au « conseil » pour faire pencher la balance en sa faveur. Résultat : Reza Pahlavi qui n'a jamais clairement condamné les exactions commises sous le règne de son père, ni renoncé officiellement à sa prétention au trône, est aujourd'hui entouré des monarchistes ultranationalistes affichant une lecture fascisante de l'institution monarchique. Leur mot d'ordre principal se résume à la préservation de l' « intégrité territoriale » du pays, reprenant ainsi l'un des prétextes du régime islamiste au pouvoir pour réprimer le soulèvement : « le pays est menacé de démembrement en cas de la chute du régime ». En traitant les différentes nationalités et ethnie d'Iran, telles les Kurdes, les Baloutches, les Arabes ou encore d'autres, de « séparatistes », Reza Pahlavi et ses partisans ne jouissant pas d'un soutien populaire important en Iran, jouent de ce fait, volontairement ou involontairement, le jeu des mollahs.
A l'intérieur du pays aucun signe n'indique que les Iraniens de la nouvelle génération, ceux très nombreux à l'origine du défi majeur lancé au régime, souhaitent une « Restauration », un retour hypothétique à un système de gouvernement dépassé par l'usure du temps et sa propre nature, très éloignée des monarchies constitutionnelles en Occident. Ainsi, Reza Pahlavi est devenu l'homme capable de porter haut les couleurs des monarchistes xénophobe de tout poil, mais pas celui qui peut leur garantir de franchir un jour les portes du pouvoir.
Les Iraniens aspirant à la démocratie et aux principes humanistes bafoués, pendant plus d'un siècle de dictature dont quatre décennies, par un régime islamiste tirant sa « légitimité » de «la volonté divine », sont en droit, avant toute chose, de poser cette question primordiale : Reza Pahlavi et ses partisans croient-il vraiment que son statut de fils d'un dictateur déchu lui confère une légitimité ?