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Iran-économie: les Pasdaran continuent leur offensive sous Rohani

Par MOHAMAD AMIN / ANALYSTE

Le mois dernier, les médias iraniens ont rapporté que le gouvernement Rohani a confié aux Gardiens de la révolution (Pasdaran) le grand projet de développement de la zone franche de l'Ile de Kish, dans le golfe persique. Akbar Torkan, Secrétaire du Conseil des zones franches iraniennes, a précisé que le projet comporte la construction sur l'île, d'un aéroport, d'un port franc et d'autres infrastructures, en vue de promouvoir l'économie du pays.

Pour sceller la partie, Akbar Torkan s'est présenté avec l'amiral Ali Fadavi, commandant des forces navales des Pasdaran, sur l'Ile de Kish pour annoncer: "Nous demandons aux Corps des Gardiens de déployer toutes leurs capacités pour faire prospérer l'île." L'attribution de ce projet colossal à la force d'élite du régime théocratique illustre la nature de la politique économique du gouvernement Rohani, qui s'inscrit dans la suite de son controversé prédécesseur Mahmoud Ahmadinejad. Elle rappelle également les pratiques d'un autre âge, lorsqu'un féodal cédait à un autre, un village entier avec tous ses habitants et richesses.

C'est grâce à de telles concessions, qui éliminent concurrents et contrôles, que l'armée des Pasdaran a pu s'imposer comme le principal entrepreneur d'Iran et le plus grand cartel du Moyen-Orient. En effet, depuis plusieurs années, aucun secteur de l'économie iranienne n'échappe, en partie ou en totalité, à l'emprise des Pasdaran, à savoir les industries du pétrole, du gaz, de l'automobile, de l'acier, du ciment, de l'alimentation, les banques et centres financiers, les télécommunications, les mines, la construction des routes, les barrages, les ports et les aéroports, ainsi qu'une part conséquente des importations et jusqu'au marché noir qui représente une valeur de 12 milliards de dollars.

En 2008, lors de la plus grande transaction boursière de l'Iran, 50 % de la société des télécommunications, d'une valeur de 8 milliards de dollars, ont été cédés aux Pasdaran. Cette transaction n'a été possible que grâce à l'intervention du gouvernement qui a tout simplement écarté un concurrent, pourtant le meilleur offrant, au motif de "manque de compétence sécuritaire". C'est par ce même procédé que les Gardiens jettent leur dévolu sur les divers secteurs de l'économie iranienne.

Après que des sociétés turques eurent renoncé à investir dans la troisième phase du projet d'exploitation des champs pétroliers Pars Sud - plus grandes réserves gazières de l'Iran dans le golfe persique - ce projet de 7 milliards de dollars a été confié à la société Ghorb des Pasdaran, sans aucun appel d'offres. Dans le même domaine, un autre projet d'une valeur de 5 milliards de dollars, a été confié aux Pasdaran, à la suite du désistement des sociétés Shell et Repsol. Le projet de construction d'un gazoduc de 900 km, d'une valeur de 1,3 milliard, leur a également été confié. Les spécialistes estiment que l'ensemble des contrats gaziers et pétroliers confiés aux Pasdaran atteint les 25 milliards.

Les manœuvres d'intimidation et la protection "légale" que leur procure le gouvernement, permet aux Pasdaran de faire main basse sur l'économie iranienne. Leur intervention est également sollicitée lorsqu'il s'agit de "régler" des problèmes, d'ordre sécuritaire, pour le régime islamiste. En effet, quand une usine est confrontée à des grèves et des protestations récurrentes, les Pasdaran entrent en jeu : ils s'approprient la société et congédient tout à la fois les "directeurs incompétents" et les "salariés dérangeants". C'est ainsi que l'usine "Tracteurs du Kurdistan" est tombée, en 2009, sous la férule des Pasdaran qui ont contraint à la démission le PDG et les autres directeurs qui s'étaient opposés à la mainmise des Gardiens de la révolution sur leur société.

Le Khatam-ol-Anbia

Les activités économiques des Pasdaran sont chapeautées par un empire militaro-industriel, le " Khatam-ol-anbia ". Celui-ci, créé à l'issue de la guerre Iran-Irak en 1988, sous l'impulsion du Guide suprême, est aujourd'hui le plus grand acteur économique de l'État. Des responsables du régime ont confié aux médias que ce complexe militaro-industriel a déjà mené plus de 4560 projets en Iran, à quoi il faut ajouter près de 13 000 projets de développement urbain. Le général Ebadollah Abdollahi, commandant de la Base Khatam-ol-anbia, a récemment révélé que celui-ci mobilise près de 130 000 effectifs et 5000 entrepreneurs.

Il est difficile d'estimer la part des Gardiens dans le produit national brut, que les analystes estiment à près des 2/3 du PNB, qui, en 2013, s'est élevé à 388 milliards. Les activités de ce complexe, qui agit en dehors de tout contrôle public, sont exemptes d'impôt. Les dividendes sont essentiellement consacrées à financer la myriade d'organes répressifs du pays ; le dispendieux programme nucléaire militaire ; les activités extraterritoriales de la force Qods des Pasdaran en Syrie, en Irak, au Yémen et au Liban. On estime à 50 milliards de dollars les dépenses engendrées du fait de la seule implication des mollahs en Syrie.

L'emprise des Pasdaran sur l'économie iranienne a d'autres conséquences néfastes: elle freine le développement du secteur privé et de la classe moyenne. Une situation qui pourrait à long terme miner la base même du régime islamiste.

Avec l'élection d'un président soi-disant "modéré" en août 2013, d'aucuns avaient espéré un début de réforme visant à restreindre la mainmise des Pasdaran sur l'économie du pays et la libéralisation de l'économie. Pourtant, un mois seulement après son investiture, le 16 septembre 2013, Hassan Rohani décevait les attentes, en déclarant dans une assemblée des Gardiens de la révolution: " Les Pasdaran doivent supporter une partie de la charge du gouvernement. Le corps des Pasdaran n'est pas un rival du secteur privé et doit prendre en charge des projets importants." (Agence IRNA, 16 septembre 2013)

Des effets pervers

Cette politique d'Hassan Rohani ne relève pas seulement des besoins financiers du gouvernement couverts par les Pasdaran. Elle témoigne aussi d'une vérité profonde : la politique économique du gouvernement est mue, au final, par les intérêts idéologiques et sécuritaires du système. Un système qui ne peut se passer de financer chèrement la flopée d'organes de répression, nécessaires pour museler une population excédée; ni d'investir sans compter, dans un programme d'armement nucléaire aventureux, dirigé contre toute la communauté internationale, ni de renoncer à son expansionnisme coûteux dans la région.

Cette politique a, en outre, des effets pervers pour la prospérité d'un pays, qui malgré ses grandes potentialités, sombre dans la récession. En effet, avec l'inflation et le chômage qui se situent dans une spirale ascendante, le climat de l'économie iranienne est plus que morbide. Le 27 octobre, le Centre des statistiques iraniennes a chiffré le taux d'inflation à 19,6%, un des plus élevés dans le monde. La devise nationale qui s'était dépréciée de 80 % sous Ahmadinejad, n'a regagné que 7 % de sa valeur (le dollar américain valait, le 1er novembre, 32500 rials). Avec une population active de 24 millions, le taux de chômage est de 30,0%, (38,8% chez les 15-29 ans). Par ailleurs, la production du brut peine à reprendre et n'a pu dépasser le million de bpj malgré les efforts du gouvernement et la baisse de 25% du prix de pétrole. Un revenu estimé à seulement 30 milliards de dollars se fera douloureusement ressentir sur le budget.

Conclusion

Du fait du caractère "idéologique" du système iranien, il est difficile de parier sur ses capacités de réforme politique et économique. La réforme de l'économie passe par la remise en cause de l'emprise des Pasdaran, tout comme la réforme de la politique iranienne passe par la remise en cause de l'emprise du Guide suprême religieux. Une éventualité inconcevable pour le régime islamiste qui rend inextricable la problématique iranienne, dissuade de tout investissement dans son avenir.

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12 Novembre 2014