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L’Iran joue la politique du pire sur l’ensemble de la région - Frédéric Encel

Frédéric Encel, directeur de séminaire à l'Institut Français de Géopolitique, participait le 12 juin à un colloque organisé par la Fondation d'Études sur le Moyen-Orient sur le programme nucléaire iranien et la lutte contre l'extrémisme islamiste.

Parmi les autres intervenants à ce colloque, l'Ambassadeur Lincoln Bloomfield Jr., ancien adjoint pour les affaires politiques et militaires du Département d'État, Olli Heinonen, ancien directeur général adjoint de l'AIEA, Bruno Tertrais, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), Linda Chavez, ancien adjoint du président américain pour la liaison avec le public, Alireza Jafarzadeh, directeur adjoint du Bureau de représentation du CNRI à Washington, auteur de l'ouvrage « Le président Ahmadinejad et la crise nucléaire », Howard Dean, ancien président du Parti démocrate américain, Struan Stevenson, ancien président de la délégation du Parlement européen pour les relations avec l'Irak et Yves Thréard, éditorialiste et chroniqueur au Figaro.


Dans son intervention, Frédéric Encel, professeur de relations internationales à l'ESG Management School, a déclaré :

« Je ne suis pas un grand spécialiste du nucléaire mais je crois savoir que l'Iran ne peut pas et ne doit pas en aucun cas disposer de la bombe. Car l'architecture de la paix mondiale repose largement sur le traité de non-prolifération de 1968 et de son protocole additionnelle de 1970.

Or l'Iran constitue une sorte de verrou. Si la communauté internationale et en particulier les 5 +1 laissaient passer l'Iran, alors que l'Iran est signataire du traité, ce serait l'effondrement de cette architecture. D'abord parce qu'il y aurait prolifération régionale, puis mondiale, et un certain nombre de pays du seuil ne sentiraient plus l'obligation de rester au niveau du seuil.

Or le président de la République française, François Holland, avait très bien résumé les enjeux de ces négociations : l'Iran ne doit pas avoir la bombe. Or si on écoute les dirigeants iraniens, à commencer par celui qui dispose des prérogatives principales en matière de politique étrangère et de défense, le Guide Khamenei, on s'aperçoit que mois après mois, y compris après l'accord de principe qui été signé il y a deux mois, qu'il considère pouvoir faire absolument ce qu'il veut en tant que chef d'un état souverain dans le dossier nucléaire.

Moi qui a fait un peu l'histoire et beaucoup de géopolitique, je crois pouvoir affirmer que lorsque vous discutez avec un régime démocratique dont les leaders ne disent pas exactement ce qui a été signé, on peut considérer qu'à usage interne vis à vis de leur opinion publique, il peut y avoir un petit hiatus acceptable ici ou là ! Mais, lorsque dans un état autoritaire les dirigeants disent l'inverse de ce qu'ils sont entrain de signer, c'est que vous vous faites avoir !

On a déjà l'expérience des mensonges de la République islamique au milieu et à la fin des années 2000, puisque, sur le dossier nucléaire, ils avaient promis un certain nombre de choses, notamment sur le plan technique, qu'ils n'ont pas été respectées.

Deuxième point : La République islamique mène un politique régionale agressive et extrêmement « confessionnalisée » et « communautarisé ». Il y a quelques mois, on a apprit que des afghans chiites hazâras combattaient aux cotés des troupes de Bachar el Assad à Damas. Que faisaient-ils là-bas ? Eh bien, ils ont été amenés sur ce front par l'Iran. Cela a été pour moi l'une des confirmations d'un « panchiisme » extrêmement agressif, en particulier en Syrie, mais aussi au Yémen et dans d'autres régions, visant à maintenir un niveau d'instabilité extrêmement dommageable pour l'ensemble de la région. Le Hezbollah est devenu un groupe revendicatif et identitaire chiite au sud Liban. Il est devenu une puissance militaire développé doté d'une capacité de nuisance sur la région qui n'est plus à démontrer. Or le Hezbollah bénéficie d'un soutien constant de Téhéran.

Ces derniers mois on a beaucoup entendu parler de l'Etat islamique, de Daech, comme le danger stratégique principal au Moyen Orient, y compris, d'ailleurs, pour les occidentaux. Ce n'est pas faux. Mais qui a contribué à créer cette machine infernale ? Si ce n'est l'extraordinaire cynisme de Bachar El-Assad et de l'Iran !

Troisième point : Je me rappelle, ému, du discours de Barack Obama en juin 2009 à l'adresse du monde arabo-musulman, il y prônait entre autre les droits de l'homme. Je ne suis pas naïf et je ne fais pas dans la poésie, mais je considère que, démonstration de force vaut force. Lorsque vous êtes le président de la première puissance mondiale, et que vous établissez des lignes rouges avec Bachar El Assad pour les armes neurotoxiques, lorsque que vous exigez (en général de vos alliés) une certaine posture pour un nouveau positionnement, et que vous ne le respectez pas, c'est bien pire que si vous ne vous étiez pas engagé dans cette voie.

Je constate malheureusement que ces dernières années, sur les questions liées à l'Iran, le président américain - et ce n'est pas le seul - semble avoir passé par pertes et profits complètes la situation des droits de l'homme en Iran. Alors que c'est un président qui en a fait l'un de ses chevaux de bataille et alors même que ces derniers mois il y a toujours plus de répressions venant de l'Etat iranien. Si la situation était inverse, cet argument tiendrait plus difficilement. Or ce n'est pas le cas. On a plutôt l'impression d'une concomitance : plus on cède, plus la République islamique joue la carte du pire dans le domaine des droits de l'homme, comme elle joue la politique du pire sur l'ensemble de la région. »