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Coronavirus : l’exception iranienne

Les Iraniens dont le pays est devenu l’épicentre de la pandémie du coronavirus au Moyen-Orient, sont en colère contre la gestion calamiteuse de celle-ci par leurs gouvernants.

Par Nader Nouri.

Ce n'est plus un mystère : les dirigeants de la République islamique, cibles d'une nouvelle vague de la colère populaire depuis la répression sanglante du mouvement de protestation de novembre 2019 et la gestion pitoyable de l'affaire du crash d'un avion de ligne ukrainien près de Téhéran (176 morts) en début de janvier, tentent une nouvelle fois d'échapper au désaveu public en minimisant la crise sanitaire qui fait des ravages dans l'antique pays.

De nombreux médecins et infirmiers iraniens ont vivement contesté sur la toile les chiffres officiels comme étant « falsifiés, car trop bas ». La stratégie des responsables iraniens, depuis l'apparition des premiers cas d'infections au Covid-19 dans la ville sainte de Qom le 19 février selon la version officielle, a été visiblement de maintenir artificiellement le bilan au plus bas possible. Ils ont consacré une couverture médiatique minimale à l'état de l'épidémie en Iran, mettant, en revanche, l'accent sur l'amplification de la gravité de la crise en Occident.

Bien que le ministère iranien de la Santé eût annoncé 5118 décès au 19 avril, les sources indépendantes de l'opposition estiment que la réalité est encore plus catastrophique depuis le moment réel de l'entrée du virus en Iran fin janvier, mais ignoré sciemment par les dirigeants islamistes pour des considérations politiciennes.

Rick Brennan, directeur des urgences de l'OMS, a estimé le 17 mars qu'en raison de l'absence de tests à grande échelle, il faut considérer qu'en Iran le nombre de contaminations est en réalité cinq fois plus élevé que les chiffres officiels.

Ce constat vient appuyer les estimations du Conseil national de la Résistance iranienne (CNRI, opposition), qui, grâce à ses sources au sein du corps médical et d'autres sources à l'intérieur du régime, a fait un décompte dans les 294 villes contaminées faisant état d'au moins 30 000 décès au 19 avril. Ce terrible bilan fait de l'Iran le pays le plus touché par la crise de Covid-19 après les États-Unis.

UNE POPULATION EN COLÈRE

Le mois dernier, l'organisation humanitaire non-gouvernementale Médecins Sans Frontières (MSF) a envoyé sur place deux avions-cargos contenant un hôpital gonflable d'une capacité de 50 lits. Une aide bienvenue par la population qui voyait dans cette présence internationale un moyen d'échapper au contrôle biaisé de l'information par le régime.

L'équipe de neuf membres de médecins urgentistes partis à Ispahan pour y monter son hôpital de campagne destiné à prendre en charge les cas les plus sévères, a dû plier bagage rapidement après que les Gardiens de la révolution (pasdaran), l'armée prétorienne du régime, l'aient sommé de quitter le pays.

Alors que la propagande du régime n'a de cesse de marteler que les sanctions américaines sont la cause principale de la vulnérabilité de l'Iran face au coronavirus, il devient de plus en plus évident que cette manœuvre ne suffit plus à tromper la population et à apaiser sa colère profonde qui a atteint aujourd'hui des niveaux inégalés face à un régime moribond, accusé de sacrifier la santé publique sur l'autel de son projet de survie à tout prix.

En effet, les Iraniens savent que les richissimes fondations religieuses liées au Guide suprême iranien, Ali Khamenei, contrôlent des pans entiers de l'économie et font main basse sur les richesses du pays. Ces entités au fonctionnement opaque ne sont assujetties à aucun contrôle comptable digne de ce nom et ne paient aucun impôt.

Les ayatollahs, qui n'ont pas reculé dans leur velléité d'expansion régionale, ont besoin d'une manne importante, sorte de trésor de guerre pour financer les milices de l'axe chiite revendiqué par le régime islamiste jusqu'aux rives de la Méditerranée.

Le CNRI a révélé la semaine dernière que les pasdaran continuent, malgré la crise sanitaire grave que traverse le pays, d'envoyer des sommes importantes d'argent au Liban destinées aux forces du Hezbollah dans ce pays et à ses unités qui se battent aux côtés du régime de Damas en Syrie. Les milices afghanes et pakistanaises mobilisées aux côtés de Bachar Al Assad continuent également de recevoir armes et argent provenant des fondations religieuses iraniennes.

RECOURS À UN DÉCONFINEMENT IRRESPONSABLE

Alors que de l'avis général l'épidémie est loin d'être enrayée, Hassan Rohani, président du régime iranien, a estimé que son gouvernement « ayant su contrôler » la propagation du coronavirus, le déconfinement et la reprise de l'activité pouvait prendre effet à partir du samedi 18 avril.

Or, un responsable de la municipalité de Téhéran a révélé dimanche que 10 000 nouvelles tombes avaient été creusées dans le principal cimetière de la capitale pour y accueillir un afflux des corps des victimes de l'épidémie. Avec une hausse considérable de la circulation dans la capitale et la difficulté de faire respecter la distanciation sociale à Téhéran et dans les grandes villes, le risque est grand de voir la diffusion de l'épidémie s'aggraver dans les jours et semaines à venir.

Cité par la chaîne TV5, Alireza Zali, à la tête du centre gouvernemental pour la lutte contre le coronavirus à Téhéran, s'est inquiété à ce sujet : « Nous avons assisté à une augmentation de 3 % de lits occupés dans les unités de soins intensifs des CHU de Téhéran [...] Le nombre total de personnes utilisant les transports publics à Téhéran a été multiplié par au moins trois à quatre. C'est inquiétant. »

Le fossé n'a jamais été aussi béant entre le régime et une population remontée contre l'aveuglement criminel de ses gouvernants. Un tel désaveu s'inscrit dans le fil de la sanglante répression des manifestations de novembre dernier contre l'augmentation du prix de l'essence et d'autres révoltes qui l'avaient précédé.

Dans son édition du 13 avril, le quotidien officiel Jahan San'at, s'est alarmé des perspectives de la gronde populaire : « Avec une telle vision sécuritaire de la société et du coronavirus, l'absence d'une économie de production, l'existence d'une multitude de petits boulots et d'emplois de service, et la concentration des pauvres, des migrants et des habitants des bidonvilles, sont autant des éléments constitutifs d'une bombe sociale qui pourrait exploser à tout moment et entraîner de graves troubles sociaux. »

Le choc du coronavirus pour le régime islamiste avec l'effet combiné des éléments cités ci-dessous, le tout faisant de l'Iran un cas exceptionnel incomparable avec tout autre pays, prendra toute sa mesure dans les semaines à venir. L'heure de vérité pourrait alors être terrible pour la dictature d'Ali Khamenei.

Pendant ce temps, restons vigilants et œuvrons à alléger la pression sur le peuple iranien en contraignant le régime à débourser les sommes colossales accumulées par les fondations sous le contrôle de Khamenei dont celle d'Astan-e Qods Razavi, et les consacrer à la santé, aux soins et besoins d'une population doublement frappée par la pandémie et les politiques désastreuses de ses gouvernants.

Dans ces conditions, il est impératif de faire pression sur Téhéran afin que celui-ci autorise l'intervention des organisations humanitaires internationales pour soigner et aider directement la population. Il faut surtout éviter l'octroi des aides financières directes au régime qui ne profitera qu'aux pasdaran et leurs acolytes dans la région, et à un pouvoir corrompu jusqu'à la moelle.

Nader Nouri est un ancien diplomate iranien basé à Paris, il est secrétaire général de la Fondation d'Etudes pour le Moyen-Orient (FEMO)

Source: Contrepoints