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Syrie, Algérie, Iran, trois élections "démocratiques" sans le peuple

Par Gérard Vespierre

OPINION. En moins d'un mois, des élections, présidentielles ou législatives, se sont ou vont se dérouler dans ces trois pays. On pourrait se satisfaire de cette vitalité démocratique, sauf que les candidatures de l'opposition ont été cadenassées. Chacun de ces États se réjouira des résultats alors que la majorité de leur population n'aura pas participé au scrutin. Quel sens donner à de telles victoires ? Vers quoi se dirigent ces trois pays ? Quelles positions les démocraties véritables doivent-elles adopter ? Par Gérard Vespierre (*) Directeur de Recherches à la FEMO (Fondation d'Études pour le Moyen-Orient) Président de Strategic Conseils.

Entre le 26 mai et le 18 juin, les citoyens de Syrie, d'Algérie et d'Iran seront appelés à se rendre aux urnes. Si l'on additionne les trois corps électoraux on atteint un total impressionnant de presque 100 millions d'inscrits selon les chiffres officiels. Ce chiffre à lui seul impressionne. Il pourrait représenter potentiellement un très large mouvement démocratique, dont on aurait tout lieu de se réjouir.

Mais en réalité la situation est beaucoup moins positive qu'il n'y paraît. Les règles élémentaires d'une pratique démocratique de base sont bafouées, contournées, et en réalité combattues. Il suffit de se pencher successivement sur ces trois situations électorales pour en juger.

L'élection présidentielle syrienne

Puisque ce scrutin s'est déjà déroulé, nous avons tous les éléments d'évaluation. L'État syrien annonce 18,1 millions d'inscrits et 14,2 millions de votants, et un président sortant réélu avec 95,1% des voix.

Avant le printemps arabe, en 2010, la Syrie comprenait 21 millions d'habitants. Après 11 années de guerre, la population totale de « la Syrie géographique » est estimée à moins de 16 millions de personnes. De ce chiffre, il faut retrancher les personnes déplacées, qui ne peuvent voter à leur domicile, soit environ 2 millions, le quart du territoire à l'est de l'Euphrate sous le contrôle des Forces démocratiques kurdes, environ 3 millions, et les 4 millions dans la région d'Idlib sous contrôle turc. Il reste donc pour « la Syrie politique » contrôlée par le régime, moins de 10 millions d'habitants, soit potentiellement 7 millions d'électeurs.

Le nombre de votants réels se situe donc probablement à la moitié de ceux annoncés par le régime. Le score de 95,1% obtenu par le président élu se passe de commentaire. Nous avons donc en Syrie un simulacre d'élection présidentielle avec des « candidats-figurants » à titre d'opposition, des chiffres électoraux aberrants, et un score présidentiel de même nature....

Cette élection n'en est pas une en termes démocratiques. Elle a été volée au peuple syrien, elle s'est déroulée en grande partie sans lui. Les peuples ont plus de mémoire que leurs dirigeants, car ils vivent plus longtemps. Le peuple syrien s'en souviendra donc.

La situation algérienne

La scène politique algérienne a été, sinon bouleversée, tout du moins fortement modifiée par le célèbre « Hirak » (Le Mouvement) apparu en février 2019. En apparence sans leader, mais néanmoins bien organisé, il a su créer une dynamique du changement « le système, dehors ».

Le « Hirak » s'est appuyé sur les profondes insatisfactions économiques, sociales et politiques de toutes les tranches d'âges, et de toutes les régions. Dans le « système » algérien, mis en place avec l'indépendance, l'armée et les services de sécurité contrôlent les structures politiques, et donc indirectement les richesses énergétiques du pays par leur nationalisation. Immobilisme et captation des richesses nationales mènent l'Algérie vers des chemins difficiles.

La première victoire du « Hirak » a été de forcer le président Bouteflika, et ses réseaux, à renoncer à un cinquième mandat le 2 avril 21019, seulement 2 mois après le début du mouvement populaire.

Ce succès impressionnant a été accompagné 8 mois plus tard par la disparition soudaine, à 79 ans, du tout-puissant chef d'état-major, le général Saleh. Depuis 15 années, il accompagnait ce président qui l'avait nommé et venait de quitter le pouvoir.

L'élection du président Tebboune en décembre 2019 n'a nullement calmé les revendications populaires. Un premier signal lui a été adressé, à travers le faible taux (officiel) de participation à son élection. Seulement 39,88% des Algériens se sont rendus aux urnes.

Les élections législatives à venir

La stratégie mise en place par le pouvoir est très facile à identifier. Il s'agit de décrédibiliser le « Hirak » par tous les moyens possibles. La dialectique transparaît dans une phrase prononcée par le président Tebboune dans une interview exclusive (1) récente « il y a eu le Hirak authentique, le Hirak béni.... ». Le procédé est simple : le Hirak qui a fait tomber mon prédécesseur était le Hirak authentique, le Hirak qui veut me faire tomber est un Hirak «dévoyé ».

En conséquence, le mouvement est accusé de faire le jeu des islamistes, et des autonomistes kabyles. En positionnant ainsi ses adversaires, le pouvoir justifie l'interdiction des manifestations, et l'arrestation des journalistes et sympathisants du mouvement.

Cette stratégie de répression aboutit naturellement à la décision de boycott de la part de ceux qui veulent le changement du « système » pour les prochaines élections législatives anticipées. La précédente élection législative de 2017 avait enregistré un taux de participation de 35%. Le scrutin le plus récent en décembre 2020, portant sur la réforme constitutionnelle, a vu le taux de participation descendre à 23%.

Il faut donc s'attendre lors des législatives du 12 juin à un taux (réel) de participation ultra faible, potentiellement inférieur à 20%, quels que soient les chiffres officiels communiqués par le régime. Ce sera un vote de refus populaire.

Ainsi, on assiste aussi, en Algérie, à un découplage continu entre le pouvoir et le peuple, à une élection volée, à une élection sans le peuple. A cette situation s'ajoutent les difficultés économiques persistantes. Le refus de mener des réformes structurelles par les forces qui détiennent le pouvoir ne peut qu'aggraver la situation dans les prochains mois.

La situation iranienne

Du côté de Téhéran, la situation comporte des similitudes systémiques, mais en plus grave. L'économie iranienne est prise dans un tourbillon mêlant fuite devant la monnaie, donc inflation qui a atteint 40% en moyenne par an, au cours des 4 dernières années! Les corollaires en sont la hausse des prix, la forte montée du chômage, et l'appauvrissement des retraités.

De grandes manifestations se sont déroulées fin 2019, déjà pour des raisons économiques, à savoir la hausse du prix de l'essence. Une répression forcenée s'était soldée, selon l'agence Reuters, par 1.500 victimes. Le pouvoir est donc particulièrement en alerte dans le cadre des élections présidentielles du 18 juin, étant donnée la situation économique, sociale et sanitaire du pays.

Sur ce dernier point, les informations recueillies par le Conseil national de la résistance iranienne auprès de plus de 500 établissements de santé chiffrent le nombre de décès au-dessus de la barre des 300.000, soit 3 fois plus que les données officielles.

L'élection présidentielle

La décision du Conseil des gardiens de la constitution de ne valider que des candidats radicaux s'explique par le souhait du pouvoir de préparer un gouvernement de combat.

La désignation d'Ebrahim Raïssi par le Conseil des gardiens, et donc indirectement par le guide suprême, comme « candidat leader » en est l'emblématique illustration. Sa désignation est également un signal, destiné aux potentiels manifestants. Tout son cursus depuis 40 ans se situe exclusivement dans le domaine judiciaire !

De formation religieuse, et non juridique, il fut membre dès 1988, à 28 ans, de la « commission de la mort » à Téhéran, lors des sanglantes répressions cette année-là contre les prisonniers politiques (plus de 30.000 morts dans tout le pays). Il est actuellement chef du système judiciaire iranien....

Devant la « bunkérisation » du pouvoir, replié pour le combat autour de son aile la plus radicale, le mot d'ordre des oppositions est, comme en Algérie, le boycott. On retrouve derrière cette stratégie de non participation, le Conseil national de la résistance iranienne, l'ancien président Ahmadinejad, et la fille de l'ancien président Rafsandjani !

Le cumul de la désespérance populaire, avec le repli du pouvoir vers des positions radicales, et les nombreux appels au boycott laissent effectivement prévoir un très faible taux (réel) de participation. Le président, mal élu, n'aura pas de légitimité démocratique. Le slogan : « Trop de mensonges, pas de vote », déjà lancé dans les manifestations, résume bien l'état d'esprit de la population.

Nous voyons, à nouveau, un divorce profond s'installer entre le peuple et le pouvoir, avec une élection présidentielle sans le peuple. Mais, en Iran, la situation peut être immédiatement explosive. Des pans entiers de population, la jeunesse face au chômage, les salariés confrontés à la baisse de leur pouvoir d'achat, et les retraités aux revenus laminés, forment un terreau pré-révolutionnaire. Des groupes de salariés et de retraités manifestent chaque jour dans des dizaines de villes. A cela s'ajoute, partout dans le pays, l'action d'Unités de Résistance contre les bâtiments des forces de sécurité, ou de l'ordre judiciaire.

En Iran, la situation politique, à court terme, pourrait devenir plus que difficile pour le nouveau pouvoir présidentiel.

Syrie, Algérie, Iran, trois pays fort différents, mais dont les régimes sont à l'opposé des pratiques démocratiques les plus fondamentales, malgré leurs pratiques électives. Musellement ou persécution de l'opposition, détournement des richesses nationales, manipulation des résultats dressent un tableau édifiant de ces pays illibéraux.

Nous voyons à l'œuvre, plus à l'est, en Russie, la même répression contre l'opposition, et même une loi interdisant sa participation aux prochaines élections législatives de septembre.

N'est-il pas temps pour les démocraties d'aller au-delà de la dénonciation de ces pratiques ? A l'évidence, ces pouvoirs préparent pour leurs pays de tristes et difficiles lendemains. Ces pouvoirs font le choix du court terme absolu. Ils ne savent pas que leurs peuples vont vivre beaucoup plus longtemps qu'eux, et que c'est eux qui auront le dernier mot.

(1) Le Point 3 juin 2021

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(*) Gérard Vespierre, diplômé de l'ISC Paris, Maîtrise de gestion, DEA de Finances, Paris Dauphine, fondateur du site web : www.le-monde-decrypte.com