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L’Iran au bord de la faillite hydrique

la capacité de chaque barrage est actuellement en moyenne de 7 %.

Dr khalil Khani *

L'Iran, vaste pays en grande partie aride ou semi-aride, fait aujourd'hui face à l'une des crises hydriques les plus sévères de son histoire. L'image de motards roulant sur le lit asséché des barrages près de Téhéran n'est pas une scène fictive, mais bien le reflet d'une réalité alarmante. Les précipitations ont fortement chuté dans la majorité des provinces, notamment au Hormozgan, au Kurdistan et en Azerbaïdjan occidental. À l'échelle nationale, les pluies sont en baisse de 42 % par rapport à la moyenne de longue durée.

Les réservoirs d'eau des barrages sont également en recul. Quatre des cinq principaux barrages de Téhéran sont pratiquement hors service. Le barrage de Karaj, vital pour l'approvisionnement en eau potable de la capitale, est rempli à seulement 8 %. Les responsables annoncent une mise en place imminente de rationnement. Selon les rapports, la capacité de chaque barrage est actuellement en moyenne de 7 %.

Cette crise dépasse de loin le cadre du changement climatique. Une mauvaise gestion chronique, une politique de développement mal planifiée et le rejet des solutions scientifiques ont contribué à précipiter le pays dans cette impasse. Autrefois, les Iraniens avaient su innover avec des systèmes de qanats pour faire face à la sécheresse. Aujourd'hui, cette tradition a été remplacée par des pratiques inefficaces et à courte vue.

Les causes structurelles de la crise

L'un des principaux facteurs est la surexploitation de l'eau dans le secteur agricole. Celui-ci consomme plus de 80 % des ressources, avec des méthodes d'irrigation dépassées et peu efficaces. De nombreuses cultures très consommatrices en eau, comme le riz ou la pastèque, sont cultivées dans des régions frappées par la sécheresse, au détriment de l'environnement et de l'économie.

Dans l'industrie aussi, l'eau douce est utilisée massivement par les complexes pétrochimiques et sidérurgiques, souvent sans recyclage ni traitement des eaux usées. Le potentiel de réutilisation des eaux usées reste largement inexploité.

Les constructions incontrôlées de barrages durant les quatre dernières décennies — plus de 600, souvent sans étude d'impact environnemental — ont bloqué le flux naturel des rivières, asséché les zones humides et provoqué des affaissements de terrain. Le barrage de Gotvand, bâti sur des couches salines, a rendu les eaux du Karoun impropres à la consommation.

Par ailleurs, l'installation de grandes industries dans les zones désertiques (comme à Yazd ou Ispahan), sans tenir compte de la capacité hydrique locale, a aggravé les déséquilibres. L'exploitation excessive des nappes phréatiques a entraîné leur épuisement rapide, accentuant le phénomène d'affaissement des sols.

Sur le plan régional, l'inefficacité diplomatique a aggravé la crise. L'Iran n'a pas su faire respecter ses droits d'accès à l'eau face à l'Afghanistan (rivière Helmand), la Turquie (Tigre et Euphrate) ou la Russie (mer Caspienne), contribuant ainsi à l'épuisement des ressources transfrontalières.

De la crise environnementale à la menace sécuritaire

Aujourd'hui, la crise de l'eau en Iran ne se limite plus aux questions environnementales ou économiques : elle devient un problème de sécurité nationale. Près de 65 % de la population vit dans une situation de « pauvreté hydrique ». Le manque d'eau provoque une chaîne de conséquences : chômage agricole, migrations internes, inflation alimentaire, pauvreté, urbanisation sauvage, et inévitablement, protestations sociales — comme on l'a vu en 2021 au Khouzistan et à Ispahan.

Déni officiel et stratégie de diversion

Malgré l'ampleur de la crise, les autorités continuent à rejeter la faute sur les ennemis étrangers ou la croissance démographique, évitant ainsi d'assumer leur propre responsabilité. Certains anciens responsables, comme Issa Kalantari, ont pourtant tiré la sonnette d'alarme : selon lui, si rien ne change, l'Iran pourrait devenir inhabitable dans vingt ans.

Les institutions proches du pouvoir — les Gardiens de la Révolution, les fondations religieuses — ont activement contribué à la destruction des ressources hydriques à travers des projets ruineux, des barrages excessifs, et une politique régionale coûteuse. Au lieu d'investir dans la durabilité, ces ressources ont été orientées vers le financement des forces paramilitaires et les ambitions géopolitiques du régime.

Des solutions existent, mais exigent une volonté politique

Malgré cette situation critique, des solutions efficaces sont à portée de main : une gestion scientifique des ressources, la réutilisation des eaux usées, la modernisation de l'agriculture, une planification territoriale réaliste, et l'adoption de technologies innovantes. Des pays comme Israël ont prouvé qu'il est possible de gérer durablement l'eau dans des climats arides.

Mais pour réussir, il faudra une transformation profonde des priorités du régime — passer de la logique sécuritaire et clientéliste à une gouvernance axée sur l'intérêt public. Sinon, l'Iran risque non seulement de perdre ses ressources naturelles, mais aussi sa stabilité sociale et politique.

* Le Dr Khalil Khani est un expert en environnement. Il est titulaire d'un doctorat en écologie, botanique et études environnementales obtenu en Allemagne, et a enseigné à l'Université de Téhéran ainsi qu'à l'Université d'État de Hesse en Allemagne. Il est également titulaire d'un doctorat en psychologie médicale des États-Unis.