
La trahison de la vérité: Sondage GAMAAN sous la dictature en Iran
Pr. Hossein Saiedian, Université du Kansas
Pr. Kazem Kazerounian, Université du Connecticut
Résumé
Cet analyse examine l'utilisation des sondages politiques dans les régimes autoritaires, en se concentrant sur l'Iran et les récentes enquêtes du Groupe d'analyse et de mesure des attitudes en Iran (GAMAAN). Si GAMAAN présente ses travaux comme « scientifiques » et « représentatifs », son échantillonnage en ligne, par effet boule de neige, ne répond ni aux normes de rigueur statistique ni à la neutralité éthique. Sous la répression et la surveillance, les véritables préférences politiques ne peuvent être mesurées. Ce qui émerge n'est pas l'opinion publique, mais l'architecture de la peur.
Il s'agit de la deuxième critique du GAMAAN. Notre précédente réponse à son enquête de 2022 a mis en évidence l'impossibilité de réaliser des sondages impartiaux sous la dictature. Ce rapport reprend les mêmes défauts tout en mettant en avant des personnalités controversées comme Reza Pahlavi, dont le bilan contesté se reflète dans la partialité de ses auteurs.
S'appuyant sur des exemples historiques et la répression documentée en Iran, l'article soutient que de tels sondages sont scientifiquement invalides et moralement indéfendables. Ils déforment la réalité, effacent la dissidence et risquent de légitimer la tyrannie. Dans les contextes autoritaires, la légitimité ne peut être mesurée par sondage. Elle ne se mesure qu'à la résistance.
Faux sondages, faux résultats statistiques, promotion de la dictature
1 Introduction
Dans les régimes autoritaires, où la peur et la surveillance dominent, l'idée de sondages politiques « scientifiques » est trompeuse. Les sondages exigent la liberté d'expression, la sécurité des répondants et la transparence du processus. Or, aucune de ces conditions n'existe dans une dictature. Les sondages ne mesurent pas l'opinion, ils reflètent alors la peur.
Cet article répond à la deuxième enquête publiée par le Groupe d'analyse et de mesure des attitudes en Iran (GAMAAN). À l'instar de son prédécesseur de 2022, le rapport de 2025 présente des personnalités controversées, notamment Reza Pahlavi, comme largement soutenues. Ces affirmations sont non seulement erronées sur le plan méthodologique, mais aussi dangereuses sur le plan éthique.
Qualifier ces sondages de « scientifiques » confère une fausse légitimité aux acteurs liés à la répression. Cela banalise la souffrance des dissidents et normalise l'autoritarisme. Mener et publier ces enquêtes sans en reconnaître les limites transforme des données erronées en propagande.
Cet article dénonce l'illusion de la légitimité scientifique, souligne le danger des faux récits et appelle à la responsabilité de ceux qui les produisent. Dans un contexte répressif, les sondages ne sont pas un outil d'analyse, mais une arme de distorsion.
2 Contexte
Le Groupe d'analyse et de mesure des attitudes en Iran (GAMAAN) se présente comme un institut menant des enquêtes « scientifiques » sur la société iranienne. Sa mission est de mesurer les attitudes politiques et culturelles, et ses sondages en ligne sont présentés comme représentatifs de millions de personnes.
En mars 2022, GAMAAN a publié l'étude « Attitudes des Iraniens envers les systèmes politiques ». Ce rapport prétendait recueillir les opinions de plus de seize mille personnes interrogées en Iran. Ce rapport suggérait un soutien important à la monarchie et présentait Reza Pahlavi comme la personnalité politique la plus populaire. Il classait même Reza Shah et Mohammad Reza Shah au-dessus du Dr Mohammad Mossadegh [1].
Nous avons réagi par une critique détaillée. Nous avons démontré que sous une dictature, les sondages ne peuvent révéler de véritables préférences. Les questions étaient biaisées, l'échantillonnage non scientifique et le contexte répressif. Notre conclusion était claire : l'enquête était politique et non scientifique [2].
En août 2025, GAMAAN a publié un autre rapport, « Rapport analytique sur les préférences politiques des Iraniens en 2024 ». Basé sur soixante-dix-sept mille répondants en ligne, il a été réduit à un échantillon pondéré d'environ vingt mille personnes. Une fois de plus, Reza Pahlavi a été mis en avant comme figure de proue, malgré son déclin depuis 2022. Les failles ont persisté, tout comme le message [3].
Un changement majeur depuis 2022 a été le bilan d'Ammar Maleki, directeur de GAMAAN. Dans de nombreux écrits et interviews, il a fait l'éloge de Reza Pahlavi et de sa famille, tout en revendiquant des tendances républicaines. Cette contradiction sape toute prétention à la neutralité. Elle se reflète dans les sondages et révèle les intentions politiques qui les sous-tendent.
3 L'illusion de la légitimité scientifique
Les sondages scientifiques exigent trois conditions : la liberté d'expression, la sécurité des répondants et la transparence du processus. Dans les États autoritaires, ces conditions sont absentes. En Iran, elles sont activement réprimées.
Exprimer des opinions politiques peut entraîner une arrestation, la torture ou l'exécution. La surveillance est constante. Même la participation anonyme à un sondage semble dangereuse. L'activité sur Internet est surveillée, les contenus d'opposition filtrés et la dissidence en ligne poursuivie. Nombreux sont ceux qui évitent complètement de participer. Ceux qui répondent s'autocensurent souvent. Qualifier de tels sondages de « scientifiques » donne une fausse crédibilité à des données façonnées par la peur et l'exclusion. Cette illusion n'est pas anodine. Elle peut justifier la répression, réhabiliter des personnalités discréditées et induire l'opinion internationale en erreur.
L'histoire illustre ce schéma. De la Syrie sous Assad à la Russie en passant par l'Allemagne nazie, les sondages et les référendums ont servi à forger le consentement. Les chiffres ont été manipulés par la coercition et la propagande. L'Iran s'inscrit parfaitement dans cette tradition.
Les enquêtes de GAMAAN ne font pas exception. Elles ne répondent pas aux normes de la recherche scientifique. Ce ne sont pas des mesures neutres. Ce sont des outils politiques conçus pour asseoir la légitimité sous une dictature.
4 Impossibilité théorique et méthodologique
4.1 Sondages politiques sous dictature : une contradiction dans les termes
Les sondages scientifiques exigent la liberté. Les répondants doivent se sentir en sécurité pour exprimer leurs véritables préférences. Dans les dictatures, cette condition n'existe pas. La République islamique n'est pas seulement autoritaire. Elle est violente. L'expression politique est punissable.
D'autres dictatures présentent le même schéma. En Syrie, les sondages ont été décrits comme « sans crédibilité » et « une parodie » [4][5]. En Russie, les sondages ont été qualifiés d'« arme politique ». Les personnes interrogées ont caché leurs opinions pour éviter les risques [6][7][8]. Ces sondages ne mesurent pas l'opinion. Ils reproduisent la peur.
L'histoire offre des exemples frappants. En 1938, Hitler a organisé un « référendum » en Autriche pour légitimer l'annexion. Le scrutin a été truqué pour une seule réponse : OUI. Le décompte officiel a fait état d'une approbation de 99,7 %. Parallèlement, les « rapports d'humeur » nazis recueillis par des informateurs ont été présentés comme des preuves de soutien. En réalité, tant le scrutin que les rapports ont fabriqué le consentement, et non l'opinion [9][10].
En 2022, la Russie a organisé des « référendums » en Ukraine occupée. Les résultats ont fait état d'un soutien de 87 à 99 % à l'annexion. L'ONU, l'UE et l'OSCE les ont rejetés comme frauduleux [11][12].
Le schéma est clair. Les sondages et référendums autoritaires sont conçus pour asseoir la légitimité. L'Iran ne fait pas exception. Pendant quatre décennies, la répression, les exécutions et la surveillance ont marqué la vie. Aucun chercheur sérieux ne peut prétendre mesurer de véritables préférences dans ce contexte. Ce n'est qu'après la fin de la dictature et l'avènement de la démocratie que les sondages politiques seront valables. En attendant, la légitimité ne repose que sur la résistance.
4.2 Échantillonnage en ligne et en boule de neige : biais inhérents
GAMAAN s'appuie sur la distribution en ligne et l'échantillonnage en boule de neige. Les répondants sont recrutés via les réseaux sociaux, puis invités à partager le lien. L'échantillon se développe comme une chaîne de connaissances.
Il ne s'agit pas d'un échantillonnage probabiliste, mais d'une autosélection. Les personnes actives en ligne ou connectées à certains cercles dominent l'échantillon. Les pauvres, les personnes déconnectées et les personnes craintives sont exclues d'emblée.
Statistiquement, il s'agit d'un échantillonnage non aléatoire, porteur de multiples biais. De tels échantillons ont tendance à surreprésenter les personnes disposant d'un réseau social solide et à sous-représenter celles qui évitent l'exposition. Ces échecs sont visibles même dans les sociétés libres. Les exemples sont nombreux. Dans les études américaines sur la consommation de drogues, l'échantillonnage en boule de neige n'a capturé que les cercles restreints de participants initiaux, laissant des groupes entiers sous-représentés. Lors des élections de 2016, de nombreux sondages en ligne avec participation volontaire prédisaient la victoire de Clinton, car les réponses provenaient principalement des réseaux progressistes, alors que le résultat final était la victoire de Trump. Ces cas illustrent comment les méthodes de sondage en boule de neige et de participation volontaire en ligne faussent les résultats, un problème largement documenté dans la littérature [13–17].
GAMAAN tente de « pondérer » les données. Mais la pondération ne permet pas de corriger une entrée non aléatoire. Des données biaisées à l'entrée génèrent des données biaisées à l'extérieur. L'affirmation selon laquelle ces enquêtes représentent la population adulte alphabétisée d'Iran est indéfendable.
4.3 Autres défauts scientifiques
L'échantillonnage en boule de neige n'est pas le seul problème des enquêtes GAMAAN. Plusieurs autres défauts méthodologiques nuisent à leur crédibilité.
Erreur de couverture. Les enquêtes sont diffusées uniquement en ligne. Cela exclut de nombreux Iraniens sans accès à Internet fiable, notamment dans les zones rurales, parmi les personnes âgées et les plus pauvres. Les coupures d'Internet pendant les manifestations bloquent également l'accès. Il en résulte un échantillon biaisé en faveur des participants urbains, jeunes et plus aisés.
Biais de non-réponse. Même parmi ceux qui voient le lien de l'enquête, nombreux sont ceux qui ne répondent pas. Les personnes craintives, politiquement désengagées ou sceptiques sont moins susceptibles de participer. Les personnes motivées ou connectées aux réseaux de distribution sont plus susceptibles de répondre. Cela exagère certains points de vue et en réduit d'autres au silence.
Biais de mesure. La formulation des questions peut inciter les participants à sélectionner des réponses qui correspondent aux objectifs de l'enquêteur. Par exemple, présenter un changement de régime comme « violent et sanglant » plutôt que « pacifique et démocratique » rend la seconde option plus souhaitable, même si les répondants doutent de sa faisabilité. De telles questions tendancieuses faussent les résultats.
Transparence et reproductibilité. GAMAAN ne publie pas de données brutes ni l'intégralité du processus de recrutement. Dans la pratique scientifique, la transparence est essentielle à la reproductibilité et à la vérification indépendante. Sans elle, la crédibilité des résultats est limitée.
Faux répondants et robots. Aucune mesure n'est décrite pour empêcher la manipulation des résultats par des répondants répétés, de faux comptes ou des robots automatisés. Dans les sondages en ligne, il s'agit d'un problème majeur. Problème pouvant fortement fausser les résultats.
Utilisation abusive de la pondération. GAMAAN applique une pondération statistique pour ajuster l'échantillon non aléatoire. La pondération suppose que l'échantillon initial est au moins partiellement aléatoire. Lorsque les données d'entrée sont déjà biaisées, les données de sortie ajustées le restent. Dans ce cas, la pondération ne crée qu'une apparence de rigueur scientifique.
Surgénéralisation. Malgré tous ces problèmes, GAMAAN affirme que ses résultats peuvent être généralisés à la population adulte alphabétisée d'Iran. Compte tenu de multiples biais, cette affirmation est indéfendable. Il s'agit d'une exagération qui induit en erreur le public et les décideurs politiques.
L'ensemble de ces failles montre que même sans répression politique, les enquêtes GAMAAN ne sont pas scientifiquement fiables. Sous une dictature comme l'Iran, les problèmes sont multipliés.
4.4 Peur et silence en Iran
La peur est le facteur décisif. En Iran, l'absence de conditions scientifiques n'est pas seulement technique. Elle est psychologique et politique. L'appareil de surveillance du régime, la censure et son historique de répression de la dissidence créent un environnement où l'expression d'opinions politiques sincères est dangereuse. Même la participation anonyme à une enquête peut paraître risquée. Les citoyens savent que soutenir des groupes interdits ou s'opposer au régime, même en privé, peut entraîner arrestation, harcèlement, voire pire. Cette peur influence les réponses, la manière dont elles sont données et leur éventuelle réponse. Il en résulte un ensemble de données filtrées par la répression, et non par la réflexion. Elles excluent les voix les plus courageuses, celles qui prônent un changement radical, et amplifient les discours les plus sûrs et les plus tolérés par le régime. Dans ce contexte, l'illusion de légitimité scientifique n'est pas seulement une faille méthodologique. Elle reflète un muselage systémique. Ce qui apparaît comme des données est en réalité une cartographie de la peur.
Le cas d'Hamid Nouri, le responsable du régime jugé en Suède, en est un exemple révélateur. Il a admis devant le tribunal que la simple mention du nom de l'OMPI ( MEK) lui valait un lourd tribut s'il retournait en Iran. Si un membre du régime craint de prononcer son nom devant un tribunal étranger, que peut-on attendre des citoyens ordinaires en Iran ?
Les faits sont clairs. Des Iraniens ont été arrêtés pour avoir publié des commentaires critiques sur les réseaux sociaux. Des étudiants ont été expulsés d'universités pour activisme en ligne. Des enseignants et des travailleurs ont perdu leur emploi pour avoir exprimé leur sympathie envers les mouvements de protestation. Des familles en Iran sont menacées lorsque des proches à l'étranger s'expriment contre le régime. Ces pratiques sont bien documentées par les organisations de défense des droits humains et les médias internationaux.
La simple navigation sur Internet comporte des risques. Le régime filtre les sites web d'opposition, les médias étrangers et la plupart des sources d'information indépendantes. Certains Iraniens utilisent des VPN et d'autres outils pour contourner ces restrictions. Cette pratique est illégale et surveillée par la Cyber Police. Des arrestations massives de personnes accusées d'utiliser des outils « anti-filtres » pour consulter des sites interdits ont eu lieu. Lors des manifestations, lorsque l'accès à Internet est restreint ou coupé, toute personne surprise en possession de dispositifs de contournement ou accusée d'accéder à des médias d'opposition s'expose à des poursuites. Dans un tel contexte, même cliquer sur un lien d'enquête semble dangereux. Pour participer, les citoyens doivent contourner les filtres, risquer d'être exposés et avoir confiance que leurs réponses ne seront pas tracées. Pour beaucoup, c'est impensable.
C'est pourquoi des pans entiers de la société disparaissent des sondages. Les opposants les plus engagés au régime restent invisibles, tandis que ceux qui ont des liens avec le régime, une nostalgie monarchique ou un faible enjeu politique émergent plus facilement. Les chiffres ne révèlent pas la volonté du peuple. Ils ne révèlent que les contours de la répression.
5 Contradictions du Rapport 1404
5.1 Démocratie contre Autoritarisme
Le rapport de 1404 affirme que 89 % des Iraniens soutiennent la démocratie [3]. Parallèlement, il indique que 43 % sont ouverts à un « régime autoritaire mené par un dirigeant fort » [3]. Ces résultats ne peuvent être tous deux vrais. Une société ne peut exiger la démocratie si près de la moitié de la population adhère à l'autoritarisme.
Ce n'est pas un défaut mineur. C'est un résultat artificiel. En brouillant la frontière entre démocratie et autoritarisme, l'enquête crée de la confusion. Cela ouvre la voie à la présentation de la monarchie, ou d'un autre homme fort, comme une option « démocratique ». Ce qui ressemble à des données est en réalité un message politique.
5.2 Évolution du soutien à la monarchie
Le rapport 1401 accordait à Reza Pahlavi 39 % de soutien, le présentant comme la principale alternative au régime [1]. Le rapport 1404 réduisait ce pourcentage à 31 % [3]. Pourtant, GAMAAN le présente toujours comme la principale figure de l'opposition.
Le même rapport admet que le soutien à la monarchie est concentré dans quelques provinces comme le Guilan et l'Alborz, et faible dans des régions comme le Kurdistan et l'Azerbaïdjan occidental [3]. Il ne s'agit pas d'un consensus national. Il s'agit d'une préférence étroite et inégale.
Au moment de la publication du rapport, la crédibilité de Reza Pahlavi était déjà entamée. Il avait ouvertement espéré une frappe militaire étrangère pour restaurer son trône. Il a également collaboré étroitement avec des éléments du CGRI. Ces positions ont aliéné de nombreux Iraniens. Pourtant, l'enquête le présente toujours comme l'option la plus viable.
Il ne s'agit pas d'une recherche neutre. C'est de la propagande. Elle réduit le choix politique à une fausse dichotomie : dictature cléricale ou monarchie.
5.3 « Pas de majorité pour personne »
Même en supposant que les chiffres soient exacts, le rapport 1404 concède qu'aucune figure ni aucune force ne bénéficie du soutien majoritaire [3]. Les monarchistes, les républicains, les réformistes et les militants ne représentent chacun qu'une fraction. Le paysage est fragmenté et diversifié.
Telle aurait dû être la principale conclusion. Pourtant, l'enquête met en avant Reza Pahlavi comme s'il était le choix central. Son soutien est modeste, en déclin et loin d'être majoritaire.
La contradiction est évidente. Le rapport admet la diversité, mais promeut une figure comme inévitable. Il ne s'agit pas d'un reportage neutre. Il s'agit d'une approche sélective.
La fragmentation n'est pas synonyme de faiblesse. Elle reflète la vitalité et la pluralité des voix. En réduisant cela à une fausse dichotomie dictature/monarchie, l'enquête contredit ses propres chiffres.
5.4 Contradictions dans la présentation
Même si l'on met de côté l'incrédulité et que l'on considère les chiffres comme exacts, ce qui est hautement douteux, la présentation des résultats révèle davantage de contradictions.
Fragmentation versus unité. L'enquête divise les républicains et les militants civiques en de nombreux sous-groupes, les faisant paraître faibles et dispersés. Parallèlement, la monarchie est concentrée en une seule figure, créant une impression d'unité. Un camp est artificiellement divisé, tandis que l'autre est artificiellement consolidé.
Formulation des questions. Le rapport lui-même montre que la formulation des questions produit des contradictions. Les répondants peuvent soutenir la démocratie tout en soutenant un régime autoritaire. Cela ne clarifie pas les préférences, mais les brouille. La conception même engendre des contradictions qui servent un message politique.
Chiffres gonflés. Les précédentes enquêtes GAMAAN ont même publié des totaux supérieurs à 100 %. C'est mathématiquement impossible. De tels résultats ne peuvent être considérés comme un oubli. Ils révèlent une manipulation visant à obtenir le résultat souhaité.
Illusion d'équilibre. Le rapport présente des graphiques clairs et des catégories claires pour suggérer équilibre et neutralité. Cependant, la pondération, la fragmentation et le cadrage biaisent déjà les résultats. Ce qui semble objectif est en réalité mis en scène pour créer une impression spécifique.
Ces contradictions montrent que le rapport n'est pas simplement imparfait. Il est conçu. Il crée une fausse image de cohérence et d'équilibre tout en masquant les biais inhérents à sa conception.
6 Motivations politiques derrière les sondages en Iran
Au-delà des défauts méthodologiques, les sondages GAMAAN doivent être considérés comme des instruments politiques. Dans un pays où l'opinion publique ne peut s'exprimer librement, l'acte même de sondage devient une forme de communication. Ces sondages ne se contentent pas de refléter des données déformées, ils façonnent activement les récits. En mettant en avant des personnalités comme Reza Pahlavi, en minimisant les mouvements de résistance et en présentant de fausses oppositions entre monarchie et théocratie, ces sondages servent un objectif stratégique : fabriquer de la légitimité pour les acteurs privilégiés et marginaliser les alternatives. Cette section examine l'agenda politique intégré à la conception, à l'interprétation et à la promotion de ces sondages, révélant comment ils fonctionnent non pas comme des recherches neutres, mais comme des outils d'influence.
6.1 Le parti pris du directeur : l'admiration d'Ammar Maleki pour les Pahlavi
Toute prétention de neutralité des sondages GAMAAN s'effondre lorsque l'on examine le parcours public de son directeur, Ammar Maleki. Bien qu'il se présente comme un partisan d'un gouvernement républicain, ses éloges constants et enthousiastes pour la famille Pahlavi révèlent un profond parti pris personnel. Depuis plusieurs années, Maleki présente publiquement Reza Pahlavi comme un démocrate, un homme historique et particulièrement capable d'unifier l'opposition. Il qualifie les déclarations de Pahlavi d'« historiques », son leadership de « mauvais échec » pour les critiques et sa popularité de surpassant celle de la monarchie elle-même [18-28]. Il exprime même son admiration pour Noor Pahlavi, saluant son engagement en faveur des droits des femmes.
Cet alignement est délibéré. Les soutiens répétés de Maleki concordent parfaitement avec les résultats artificiels des sondages GAMAAN, qui placent systématiquement Reza Pahlavi au-dessus de toutes les autres personnalités. Ces chiffres sont conçus pour suggérer que la plupart des Iraniens souhaitent la démocratie, mais que leur figure démocratique préférée est issue d'une lignée autoritaire. Ce cadrage ouvre la voie à une requalification de la monarchie en solution « démocratique et autoritaire ». La contradiction est flagrante : un homme qui exalte les Pahlavi produit désormais des sondages qui les légitiment. La neutralité ne peut survivre à de telles preuves.
6.2 La fausse dichotomie « Shah contre Cheikh »
L'un des résultats les plus insidieux des sondages GAMAAN est la construction d'une fausse dichotomie : les Iraniens doivent choisir entre le régime clérical actuel (« le Cheikh » ou « le mollah ») et un retour à la monarchie (« le Shah »). Ce cadrage occulte la riche diversité des voix de l'opposition, notamment des républicains laïcs, des militants progressistes et des résistants organisés. Ce mouvement réduit un paysage politique complexe à un choix simpliste et trompeur.
Ce système binaire fonctionne de deux manières : il réhabilite les Pahlavi en les présentant comme la seule alternative viable, et il affaiblit les autres forces démocratiques en les excluant. La société iranienne présente des visions diverses de l'avenir, mais la conception de l'enquête réduit cette diversité à une dichotomie simpliste. En présentant la monarchie comme unifiée et organisée tout en dépeignant les autres courants comme fragmentés, le rapport impose un cadre déformé au paysage politique.
6. 3 Blanchir les Pahlavi
Ces enquêtes contribuent également à une tentative révisionniste plus large de blanchir les crimes de la dictature Pahlavi. En présentant Reza Shah et Mohammad Reza Shah comme plus populaires que le Dr Mohammad Mossadegh, symbole du patriotisme démocratique, les enquêtes inversent la mémoire historique. Elles occultent l'héritage de torture, de censure et de répression politique sous la monarchie, le remplaçant par une nostalgie aseptisée.
Ce révisionnisme n'est pas seulement théorique ; il a des conséquences politiques. Il prépare le terrain à la réintroduction de figures autoritaires sous couvert de réformes démocratiques. Il encourage les jeunes générations, peu familiarisées avec les réalités de l'ère Pahlavi, à considérer la monarchie comme un âge d'or révolu. Les sondages servent ainsi non seulement à mesurer l'opinion, mais aussi à la remodeler.
6.4 Neutralisation de la Résistance
Le plus inquiétant est peut-être l'effacement systématique des mouvements de résistance organisés des résultats des sondages. Le Conseil national de la Résistance iranienne (CNRI) et sa principale organisation, l'OMPI, sont soit exclus, soit marginalisés. Cela ne reflète pas leur soutien réel, mais plutôt la peur. En Iran, exprimer son soutien à des groupes interdits peut entraîner des persécutions.
Pourtant, hors d'Iran, où le soutien au CNRI et à l'OMPI ne se heurte pas à une répression violente, nous avons assisté à des manifestations massives et enthousiastes, notamment parmi les femmes et les classes éduquées, en soutien à la Résistance. Ces événements offrent une véritable mesure de la base sociale large et loyale de la résistance, inégalée par aucune autre force d'opposition. Par exemple, depuis le début de l'année 2025, des dizaines de milliers d'Iraniens se sont rassemblés dans différentes capitales pour soutenir la Résistance iranienne. Des centaines de personnalités de renommée internationale sont notamment présentes et ont pris la parole aux côtés de Mme Maryam Radjavi (la présidente élue du CNRI). Nombre de ceux qui se présentaient comme des alternatives populaires au régime n'ont jamais réussi à mobiliser ne serait-ce qu'une fraction de cette participation, malgré une totale liberté de mouvement et d'expression à l'étranger. Ce contraste saisissant révèle l'ampleur du soutien populaire dont bénéficie l'OMPI et le caractère délibéré de son exclusion des sondages comme celui de GAMAAN.
7 La véritable mesure de la légitimité
En Iran, la légitimité ne se mesure pas par les sondages. Elle doit se mesurer par la résistance. Lorsque la liberté d'expression est criminalisée, lorsque la dissidence est punie d'emprisonnement ou d'exécution, et lorsque même la participation anonyme à un sondage comporte des risques, la véritable voix du peuple ne se trouve pas dans les données, mais dans la défiance.
Ce principe s'applique non seulement à l'Iran, mais à toutes les sociétés sous dictature ou occupation. Le soutien du public est indissociable du degré de lutte et de sacrifice dont fait preuve une personnalité ou un mouvement politique pour s'opposer à la tyrannie. Ce n'est qu'après la chute d'une dictature et l'instauration d'un système démocratique que la popularité peut être évaluée par des élections libres et des sondages crédibles. En attendant, la résistance est le meilleur indicateur.
On le voit clairement en Ukraine, où la notoriété nationale et internationale du président Zelensky dépasse largement ses résultats électoraux de 2019. Sa légitimité ne découle pas des sondages, mais de sa résistance indéfectible à l'agression russe. De même, dans l'Europe de l'après-guerre, les principaux partis politiques allemands tirent encore leur autorité morale de leur opposition au fascisme hitlérien. En France, le leadership du général de Gaulle dans la Résistance contre l'occupation nazie est devenu le fondement de sa légitimité bien avant le vote.
En Iran, le Conseil national de la Résistance iranienne (CNRI), avec son organisation phare, l'OMPI ou MEK, a formulé une vision claire de la transition démocratique. Son plan de six mois pour un gouvernement provisoire, suivi d'élections libres, contraste fortement avec les alternatives autoritaires promues par des sondages biaisés. Cet engagement en faveur du pluralisme, de la laïcité et des droits humains n'est pas théorique, il s'appuie sur des décennies de sacrifices, d'exils et de résistance.
L'objectif de ces soi-disant sondages est de promouvoir un faux récit : le peuple iranien n'aurait que deux choix : revenir à la monarchie ou subir la théocratie actuelle. Cette vision binaire est non seulement trompeuse, mais aussi politiquement motivée. Elle vise à détourner les jeunes Iraniens du changement révolutionnaire et à les pousser vers des illusions nostalgiques de l'ère prérévolutionnaire. Ces efforts s'appuient sur des images soigneusement sélectionnées des quartiers d'élite, des souvenirs aseptisés des années 1970 et une volonté délibérée. L'effacement des réalités brutales de la dictature du Shah.
Mais les révolutions ne se produisent pas en vase clos. Elles naissent de conditions réelles : inégalités économiques, répression politique et injustice sociale. La révolution de 1979 n'était pas une erreur ; c'était une réponse à des décennies de régime autoritaire, de torture, de censure et de déni des libertés fondamentales. Si le Shah avait bénéficié d'un véritable soutien populaire, il n'aurait pas été renversé aussi radicalement et n'aurait pas fui le pays en disgrâce.
Tant que la dictature ne sera pas démantelée et que des élections libres ne seront pas possibles, aucun sondage ne pourra prétendre mesurer la popularité. Dans de telles conditions, la résistance n'est pas seulement un acte politique, c'est une boussole morale. Et à ce titre, le CNRI et l'OMPI (MEK ) sont uniques.
8 Conclusions : Légitimer la tyrannie est une trahison morale
Légitimer des individus complices de répression, de torture et de crimes contre l'humanité n'est pas un simple faux pas ; c'est une grave trahison de la vérité et de la justice. Par le biais de sondages manipulés, de récits médiatiques édulcorés ou de manœuvres politiques calculées, la mise en avant de tels chiffres déforme la réalité et blesse les opprimés. En Iran, nous sommes confrontés aux architectes vivants de la brutalité : des responsables du régime qui ont orchestré des exécutions, torturé des étudiants et écrasé la société civile, ainsi que des vestiges de la dictature Pahlavi, dont la torture systématique et l'emprisonnement politique sont bien documentés par Amnesty International et d'autres organisations de défense des droits humains.
Prétendre que ces chiffres bénéficient d'un soutien populaire – par le biais de sondages menés dans un climat de peur, de censure et de surveillance – n'est pas seulement statistiquement faux. C'est politiquement dangereux et moralement indéfendable. De tels efforts ne reflètent pas l'opinion publique ; ils la fabriquent. Ils n'informent pas ; ils trompent. Ils ne guérissent pas ; ils rouvrent des plaies non cicatrisées.
L'histoire nous met en garde. Lorsque la France a appris que le président François Mitterrand avait des liens avec le maréchal Pétain, le collaborateur de Vichy sous l'occupation nazie, cette révélation a suscité l'indignation. Une seule réunion – et non des salles de torture ou des exécutions de masse – a ébranlé la conscience d'une société démocratique. Si une nation libre exige une telle reddition de comptes, à combien plus forte raison devons-nous rejeter la banalisation de ceux qui ont du sang sur les mains, non pas comme des vestiges historiques, mais comme des prétendants actifs au pouvoir ?
Le silence face à cette trahison revient à abandonner les victimes. Élever ces figures bafoue la dignité humaine et la justice. La clarté morale n'est pas un luxe : elle est le fondement de toute société aspirant à la liberté. Nous devons rester fermes, dénoncer la tromperie et honorer la vérité avec une détermination inébranlable.
Lire l'original sur :
https://freeiransn.com/the-betrayal-of-truth-gamaan-polling-under-dictatorship-in-iran/
Références
[1] GAMAAN, Iranians' Attitudes Toward Political Systems (Rapport, mars 2022). Disponible à l'adresse : https://gamaan.org/fa/2022/03/31/political-systems-survey/
[2] H. Saeidian et K. Kazerounian, Unscientific Polling with Political. Disponible à l'adresse : https://gamaan.org/fa/2022/03/31/political-systems-survey/
[3] GAMAAN, Rapport analytique sur les préférences politiques des Iraniens en 2024 (rapport, août 2025). Disponible sur : https://gamaan.org/2025/08/20/analytical-report-on-iranians-political-preferences-in-2024/
[4] The Guardian, « Les sondages syriens soutenant Assad n'ont aucune crédibilité », 19 janvier 2012. Disponible sur : https://www.theguardian.com/world/2012/jan/19/syrian-poll-assad-no-credibility
[5] Michel Duclos, « Les élections parlementaires syriennes ont été une parodie », Atlantic Council, 31 juillet 2020. Disponible sur : https://www.atlanticcouncil.org/blogs/menasource/the-syrian-parliamentary-elections-were-a-mockery
[6] Sergei Erofeev, « L'industrie des sondages russe est gravement dans l'erreur. Voici comment la changer », Open Democracy, septembre 14 septembre 2021. Disponible sur : https://www.opendemocracy.net/en/odr/russias-polling-industry-is-gravely-wrong-heres-how-to-change-it
[7] Oleksiy Goncharenko, « Pourquoi nous ne devons pas reconnaître les élections frauduleuses en Russie », Atlantic Council, 20 septembre 2021. Disponible sur : https://www.atlanticcouncil.org/blogs/ukrainealert/why-we-must-not-recognize-russias-fraudulent-election
[8] Joshua Keating, « Le dilemme du dictateur : gagner avec 95 % ou 99 % ? », Foreign Policy, 13 février 2012. Disponible sur : https://foreignpolicy.com/2012/02/13/the-dictators-dilemma-to-win-with-95-percent-or-99
[9] Ian Kershaw, Le « mythe hitlérien » : Image et réalité sous le Troisième Reich, Oxford University Press, 1987. Disponible à l'adresse : https://global.oup.com/academic/product/the-hitler-myth-9780192802064
[10] David Welch, Le Troisième Reich : Politique et propagande, Routledge, 2002. Disponible à l'adresse : https://www.taylorfrancis.com/books/mono/10.4324/9780203930144/third-reich-david-welch
[11] Bibliothèque de la Chambre des communes (Parlement britannique), « Implications of the Russian-backed referendums in Ukraine », Research Briefing, 13 octobre 2022. Disponible à l'adresse : https://commonslibrary.parliament.uk/research-briefings/cbp-9631/
[12] Al Jazeera, « Comprendre les référendums russes en Ukraine », article explicatif, 20 septembre 2022. Disponible sur : https://www.aljazeera.com/news/2022/9/20/russia-unfolds-annexation-plan-for-ukraine
[13] L. A. Goodman, « Snowball sampling », Annals of Mathematical Statistics 32(1) : 148–170, 1961. Disponible à l'adresse : https://doi.org/10.1214/aoms/1177705148
[14] Wei Wu et David Weaver, « Démocratie en ligne ou démagogie en ligne ? : Sondages d'opinion publique sur Internet », Harvard International Journal of Press/Politics 2(4) : 71–86, 1997. Disponible à l'adresse : https://doi.org/10.1177/1081180X97002004007
[15] Alan Rosenblatt, « Sondages en ligne : limites méthodologiques et implications pour la démocratie électronique », Harvard International Journal of Press/Politics 4(2) : 30–40, 1999. Disponible à l'adresse : https://doi.org/10.1177/1081180X99004002003
[16] Pew Research Center, « Évaluation des risques liés aux sondages en ligne provenant de faux répondants », 18 février 2020. Disponible à l'adresse : https://www.pewresearch.org/methods/2020/02/18/assessing-the-risks-to-online-polls-from-bogus-respondents
[17] Nate Cohn, « Les sondages en ligne augmentent. Les inquiétudes concernant leurs résultats aussi », New York Times, 27 novembre 2015. Disponible à l'adresse : https://www.nytimes.com/2015/11/28/upshot/online-polls-are-rising-so-are-concerns-about-their-results.html
[18] Ammar Maleki, Tweet, 22 octobre 2018. Disponible sur : https://x.com/AmmarMaleki/status/1054327994309849089
[19] Ammar Maleki, Tweet, 1er novembre 2018. Disponible sur : https://x.com/AmmarMaleki/status/1058139418765246464
[20] Ammar Maleki, Tweet, 15 janvier 2019. Disponible sur : https://x.com/AmmarMaleki/status/1085180693234270214
[21] Ammar Maleki, Tweet, 16 janvier 2020. Disponible sur : https://x.com/AmmarMaleki/status/1217897863121981440
[22] Ammar Maleki, Tweet, 17 janvier 2020. Disponible sur : https://x.com/AmmarMaleki/status/1218080315232718848
[23] Ammar Maleki, Tweet, 3 décembre 2020. Disponible sur : https://x.com/AmmarMaleki/status/1334595726890962945
[24] Ammar Maleki, Tweet, 29 septembre 2020. Disponible sur : https://x.com/AmmarMaleki/status/1310660817277386752
[25] Ammar Maleki, Tweet, 17 mars 2021. Disponible sur : https://x.com/AmmarMaleki/status/1371764119615995906
[26] Ammar Maleki, Tweet, 13 mai 2022. Disponible sur : https://x.com/AmmarMaleki/status/1525390155057594368
[27] Ammar Maleki, Tweet, 7 février 2023. Disponible sur : https://x.com/AmmarMaleki/status/1623018756552425472
[28] Ammar Maleki, Tweet, 9 juin 2019. Disponible sur : https://x.com/AmmarMaleki/status/1137655414139437056