
Hezbollah : un an après le cessez-le-feu avec Israël – bilan, tensions et perspectives
Par Maceo Ouitana*
Le Hezbollah, acteur militaire et politique central du Liban, est depuis plus de quarante ans au cœur des dynamiques régionales qui façonnent le Moyen-Orient. Né en 1982 avec le soutien direct de l'Iran et en réponse à l'occupation israélienne du Sud-Liban, il est passé d'une milice de guérilla à une force politico-militaire intégrée dans les institutions libanaises, tout en conservant une autonomie militaire totale.
L'année dernière, un cessez-le-feu entre le Hezbollah et Israël a mis fin à une série d'affrontements frontaliers qui menaçaient de dégénérer en conflit ouvert. Cette trêve, négociée avec l'appui de l'ONU et de médiateurs régionaux, devait désamorcer les tensions au Liban-Sud. Mais douze mois plus tard, les rapports de force demeurent inchangés et les tensions politiques internes se sont intensifiées autour d'un enjeu central : le désarmement du Hezbollah.
Pour comprendre la situation actuelle et ses perspectives, il est indispensable de revenir sur l'histoire de ce mouvement, d'analyser les tendances observées depuis la trêve et de mesurer l'impact des pressions internes et externes.
Aux origines : l'empreinte iranienne
L'occupation israélienne du Liban en juin 1982, au cours de l'opération « Paix en Galilée », constitue l'événement fondateur qui précipite la création du Hezbollah. Israël justifie alors son invasion par la nécessité de chasser l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) du Liban-Sud, mais l'occupation militaire qui s'ensuit radicalise la communauté chiite libanaise, historiquement marginalisée au sein du système politique confessionnel du pays.
À cette époque, la République islamique d'Iran, née trois ans plus tôt, cherche à exporter sa révolution et à s'imposer comme leader du camp islamiste anti-occidental. Le Corps des Gardiens de la Révolution islamique (pasdaran), qui formait alors directement les premières cellules chiites libanaises, saisit l'opportunité. Avec l'appui logistique et diplomatique de la Syrie de Hafez el-Assad, les pasdaran installent des camps d'entraînement dans la vallée de la Bekaa, zone stratégique sous contrôle syrien, à proximité des lignes de front avec Israël.
Le déploiement de ces cadres iraniens a pour objectif de structurer et former militairement plusieurs petites factions chiites existantes, issues notamment du mouvement Amal islamique et de groupes religieux proches de la mosquée al-Mahdi. L'analyste américain Augustus Richard Norton résume cette démarche dans Hezbollah: A Short History : « L'Iran a vu dans le Liban un terrain fertile pour exporter sa révolution islamique et projeter son influence contre Israël ».
Une idéologie importée et adaptée
Dès sa naissance, le Hezbollah adopte la doctrine iranienne du Velayat al-Faqih (la gouvernance théocratique absolue), qui confère au Guide suprême des mollahs une autorité religieuse et politique ultime. Cette allégeance formelle au Guide — alors l'ayatollah Rouhollah Khomeini — se traduit par un lien organique entre le mouvement libanais et l'appareil sécuritaire et idéologique iranien.
Le Hezbollah se donne trois objectifs initiaux :
- Résister à l'occupation israélienne et libérer tout le territoire libanais.
- Exporter le modèle islamiste chiite en influençant la société libanaise et au-delà.
- Lutter contre l'influence occidentale au Liban, jugée incompatible avec son projet politico-religieux.
La première décennie : la formation par le feu (1982–1992)
Les années 1980 sont marquées par un mélange d'action militaire, de consolidation idéologique et de développement d'un appareil de propagande sophistiqué.
- Des attaques spectaculaires contre les forces occidentales : le 23 octobre 1983, deux attentats-suicides frappent simultanément la caserne des Marines américains et le poste des parachutistes français à Beyrouth, faisant respectivement 241 et 58 morts. Bien que le Hezbollah n'ait jamais officiellement revendiqué ces attaques, plusieurs rapports américains et français les lui attribuent directement, avec un soutien logistique iranien.
- Une guerre d'attrition contre l'armée israélienne : dans le Sud-Liban, les combattants du Hezbollah mènent embuscades, tirs de roquettes et opérations de harcèlement contre les forces israéliennes et l'Armée du Liban Sud (ALS), milice alliée d'Israël. Cette stratégie d'usure, inspirée des tactiques de guérilla iraniennes, vise à rendre l'occupation insoutenable politiquement pour Israël.
- Un appareil de propagande efficace : le Hezbollah développe dès ses débuts un réseau médiatique — prêches dans les mosquées, cassettes audio, puis télévision (Al-Manar) — pour diffuser un discours articulant résistance armée et justice sociale. Il insiste sur son rôle de défenseur des opprimés, non seulement contre Israël, mais aussi contre la corruption et l'injustice au Liban.
Cette décennie forge l'ADN du mouvement : une organisation politico-militaire disciplinée, soutenue par l'Iran, capable de mêler action armée, travail social et stratégie de communication pour consolider son emprise sur la communauté chiite et s'imposer comme acteur national et régional.
Montée en puissance : de la « résistance » au pouvoir politique
Le retrait israélien du Sud-Liban, en mai 2000, constitue un tournant majeur dans l'histoire du Hezbollah. Pour la première fois depuis 1978, aucun soldat israélien n'occupe officiellement le territoire libanais (à l'exception des fermes de Chebaa, toujours revendiquées par Beyrouth). Le mouvement présente cet événement comme sa victoire exclusive, arguant que la résistance armée a obtenu ce que la diplomatie et l'armée nationale n'avaient pas réussi à accomplir. Cette narration rencontre un écho fort dans la communauté chiite et au-delà, renforçant son prestige et sa légitimité interne.
Entre 2000 et 2006, le Hezbollah consolide son rôle de force politico-militaire :
- Sur le plan militaire, il maintient et modernise son arsenal, avec un réseau de positions fortifiées au sud du Litani.
- Sur le plan social, il renforce ses institutions parallèles (hôpitaux, écoles, associations caritatives) qui assurent des services dans des régions souvent délaissées par l'État.
- Sur le plan politique, il participe activement à la vie parlementaire, tout en refusant de discuter sérieusement d'un désarmement.
L'année 2006 marque un nouveau jalon. Le 12 juillet, une opération du Hezbollah contre une patrouille israélienne à la frontière — au cours de laquelle deux soldats sont capturés — déclenche une guerre de 33 jours. Les bombardements israéliens touchent durement les infrastructures libanaises et causent plus de 1 200 morts côté libanais (en majorité civils). Militairement, le Hezbollah subit des pertes matérielles importantes, mais il parvient à continuer de tirer des roquettes jusqu'au dernier jour du conflit.
Pour Israël, l'objectif d'anéantir la capacité militaire du Hezbollah et de libérer ses soldats échoue. Le secrétaire général du mouvement, Hassan Nasrallah, exploite cet échec relatif pour proclamer une « victoire divine » et renforcer encore l'image de la « résistance invincible » auprès de ses partisans.
Parallèlement à ces succès symboliques, le Hezbollah poursuit son intégration dans les institutions libanaises. Son entrée au Parlement remonte à 1992, profitant du contexte d'après-guerre civile et de l'ouverture du jeu politique aux partis issus de milices. Depuis lors, le parti participe régulièrement aux gouvernements, occupant des portefeuilles ministériels et développant un réseau d'alliances transcommunautaires, notamment avec le mouvement Amal (chiite) et, plus tard, avec le Courant patriotique libre (chrétien).
Toutefois, cette intégration politique ne se traduit jamais par un désarmement. Comme le résume la politologue libanaise Amal Saad : « Le Hezbollah a suivi une stratégie duale : investir le système politique tout en conservant la capacité de s'en extraire militairement si nécessaire. »
En d'autres termes, le Hezbollah joue sur deux tableaux :
- Légitimité institutionnelle : présence au Parlement, participation aux gouvernements, implication dans la prise de décision nationale.
- Autonomie militaire : contrôle total sur sa branche armée, refus de placer ses forces sous le commandement de l'armée libanaise, préservation de ses capacités offensives et défensives.
Cette dualité lui permet d'exercer une influence considérable sur la politique libanaise tout en restant un acteur militaire indépendant, capable de s'opposer frontalement à Israël ou de peser dans les équilibres régionaux selon les besoins de Téhéran.
Le cessez-le-feu avec Israël : un gel, pas une paix
L'année 2023 a été marquée par une série d'incidents frontaliers au Sud-Liban : tirs de roquettes sporadiques, frappes israéliennes contre des positions présumées du Hezbollah et ripostes limitées de celui-ci. Ces échanges, bien que localisés, rappelaient par leur intensité la possibilité d'un basculement vers une guerre ouverte, comme en 2006.
Le cessez-le-feu signé le 27 novembre 2024 n'est pas l'aboutissement d'une désescalade classique, mais celui d'une défaite sans précédent du Hezbollah. Depuis le 7 octobre 2023, en solidarité avec Gaza, le Hezbollah avait intensifié ses tirs contre Israël, provoquant l'évacuation de dizaines de milliers d'habitants du nord israélien. En 2024, la riposte israélienne a été massive : élimination successive de la quasi-totalité de la direction et du commandement militaire du Hezbollah, y compris les forces d'élite Radwan ; destruction d'une large partie de ses arsenaux lors du fameux incident des téléavertisseurs ; et l'assassinat, coup sur coup, d'Hassan Nasrallah puis de son successeur. Cette série de coups fatals a brisé l'échine du mouvement et affaibli de manière décisive l'influence iranienne au Liban.
Face à ce risque, plusieurs acteurs (États-Unis, France, Qatar, et Nations unies) se sont impliqués dans des médiations discrètes. L'objectif n'était pas d'aboutir à une paix durable, mais de désamorcer l'escalade immédiate. Le résultat fut un cessez-le-feu conclu à l'été 2023, présenté comme un compromis minimal.
Les principaux points de l'accord
- Retrait des unités combattantes du Hezbollah vers le nord du fleuve Litani. Cette mesure s'appuie sur la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l'ONU, adoptée après la guerre de 2006, mais rarement respectée jusqu'alors
- Renforcement du rôle de la FINUL (Force intérimaire des Nations unies au Liban), chargée de surveiller la zone tampon au Sud-Liban. Son mandat a été élargi, avec des patrouilles accrues et une meilleure coopération avec l'armée libanaise.
- Engagement mutuel à éviter les provocations : Israël s'engage à limiter les survols aériens et les frappes en territoire libanais, tandis que le Hezbollah promet de ne pas lancer de nouvelles opérations militaires au-delà de la frontière.
Une désescalade limitée mais fragile
Pour l'ONU, il s'agit d'« un accord de désescalade limité mais vital pour éviter un embrasement » (Rapport FINUL 2023). En effet, l'arrangement a permis de réduire significativement les incidents frontaliers au cours des mois suivants. Israël a temporairement suspendu certaines frappes, et le Hezbollah a réorienté ses activités vers la consolidation interne de ses positions.
Toutefois, cet accord ne constitue pas une paix en bonne et due forme, car il laisse sans réponse les questions structurelles qui alimentent le conflit :
- L'arsenal du Hezbollah, était estimé à plus de 150 000 missiles et roquettes, a été considérablement réduit.
- La rivalité régionale entre l'Iran et Israël dans la région.
- Le vide sécuritaire au Liban-Sud, où l'armée libanaise, malgré les renforts symboliques, reste sous-équipée pour véritablement contrôler la zone.
En réalité, le cessez-le-feu de 2023 est un gel tactique : il a stoppé l'escalade sans en régler les causes. Le Hezbollah a conservé sa liberté de manœuvre au nord du Litani, et Israël a maintenu sa posture de dissuasion. Comme l'a déclaré l'analyste libanais Karim Bitar dans un entretien à L'Orient-Le Jour : « Ce cessez-le-feu est une soupape de sécurité, pas une solution. Les racines du problème — le statut militaire du Hezbollah et l'ingérence régionale — demeurent intactes. »
Un an de trêve : tendances et évolutions
Un an après la signature du cessez-le-feu, la situation du Hezbollah peut être examinée à travers trois dimensions principales : militaire, politique et sociale. Chacune de ces sphères illustre à la fois la résilience du mouvement et les fragilités qui l'affectent dans un Liban en crise.
Sur le plan militaire
Sur le terrain militaire, la trêve n'a pas entraîné de véritable démobilisation. Au contraire, le Hezbollah a profité de cette période relative d'accalmie pour consolider et moderniser son appareil sécuritaire.
- Arsenal : Selon l'armée israélienne (IDF, 2024), le Hezbollah conserve un stock estimé à plus de 150 000 roquettes et missiles, dont plusieurs centaines à guidage de précision. Cette réserve, en grande partie dissimulée dans des zones urbaines ou rurales densément peuplées, demeure une menace majeure pour Israël en cas de reprise des hostilités.
- Modernisation : L'organisation a intensifié l'usage des drones, non seulement pour la surveillance, mais aussi pour des frappes ciblées de courte portée. Parallèlement, ses systèmes de communication ont gagné en sécurité et en sophistication, limitant la vulnérabilité aux interceptions.
- Déploiement : Le Hezbollah a discrètement renforcé ses positions défensives, souvent camouflées dans des infrastructures civiles, ce qui complique toute intervention militaire israélienne et accroît le risque de dommages collatéraux.
Sur le plan politique
Sur le plan politique, le Hezbollah continue d'exercer une influence déterminante, mais son image est désormais fragilisée par la crise profonde qui secoue le Liban.
- Alliances internes : Le mouvement conserve le soutien de ses alliés traditionnels, notamment Amal et le Courant patriotique libre (CPL), ce qui lui garantit une influence considérable au sein du paysage politique libanais.
- Popularité fluctuante : La grave crise économique du Liban a néanmoins érodé son aura auprès de certains segments de la population, en particulier en dehors de son bastion chiite. Des voix s'élèvent pour critiquer son rôle militaire et son poids dans la paralysie institutionnelle.
- Opposition renforcée : Les Forces libanaises et le Parti Kataëb accentuent leur pression en conditionnant toute relance nationale au désarmement du Hezbollah, qu'ils considèrent comme un obstacle à la souveraineté et à la reconstruction.
Sur le plan social
Enfin, sur le plan social, le Hezbollah parvient à maintenir une base fidèle grâce à son réseau de services, mais il doit composer avec la réduction progressive de ses ressources financières.
- Réseau d'influence : Malgré la crise, le Hezbollah continue d'administrer un vaste réseau de services sociaux – écoles, hôpitaux, cliniques et programmes alimentaires – qui entretiennent la loyauté de sa base.
- Financements en baisse : La diminution des ressources en provenance d'Iran, frappé par des sanctions économiques et des difficultés budgétaires, a obligé le mouvement à réduire certaines aides. Cependant, la solidarité communautaire et la perception du Hezbollah comme protecteur de la communauté chiite lui assurent un soutien solide.
- Résilience sociale : Cette fidélité repose autant sur l'assistance matérielle que sur un sentiment identitaire et idéologique profondément enraciné, qui compense en partie les frustrations liées à la dégradation des conditions de vie.
Le désarmement : ligne de fracture nationale
La question du désarmement du Hezbollah constitue l'un des débats politiques et sécuritaires les plus sensibles du Liban depuis près de deux décennies. Au cœur de cette controverse se trouvent deux résolutions onusiennes majeures : la résolution 1559 du Conseil de sécurité (2004) et la résolution 1701 (2006). La première exigeait la fin de la présence militaire syrienne au Liban et appelait à la dissolution de toutes les milices armées, tandis que la seconde, adoptée après la guerre de 2006, imposait un cessez-le-feu avec Israël et réaffirmait la nécessité d'un Liban exempt de groupes armés en dehors de son armée nationale.
Pour le gouvernement libanais et une partie de la classe politique, ces textes constituent la base juridique d'une revendication claire : restaurer le monopole de la force publique entre les mains de l'État. Ils estiment que la coexistence d'une armée nationale et d'une organisation armée parallèle sape la souveraineté et fragilise l'autorité du pays. Selon eux, seul un État maître de ses armes peut prétendre incarner l'indépendance réelle et protéger ses frontières.
Un autre argument avancé est celui de la préservation du Liban comme entité souveraine, distincte des rivalités régionales. L'histoire récente du pays, marqué par l'intervention de puissances étrangères et les guerres par procuration, nourrit la crainte que la présence armée du Hezbollah ne transforme le Liban en simple terrain de confrontation entre l'Iran, son principal soutien, et Israël. En ce sens, le désarmement est perçu par certains comme un impératif vital pour sortir le pays de sa vulnérabilité chronique et éviter que ses citoyens paient le prix de conflits qui les dépassent.
De son côté, le Hezbollah oppose une résistance ferme à toute tentative de désarmement. Son secrétaire général, Hassan Nasrallah, tué lors d'une attaque israélienne sur Beyrouth le 27 septembre 2024, affirmait que les armes du mouvement sont indissociables de la sécurité nationale. Pour lui, la dissuasion militaire reste indispensable tant que le Liban est exposé à la menace israélienne. Nasrallah a rappelé régulièrement que l'armée libanaise, malgré son engagement et son professionnalisme, reste largement sous-équipée face à la puissance militaire israélienne. Dès lors, priver le Hezbollah de ses armes reviendrait, selon lui, à désarmer le Liban lui-même et à exposer le pays à une agression extérieure.
Cette divergence traduit une fracture nationale profonde. D'un côté, une partie de la société libanaise, souvent représentée par les courants politiques proches de l'Occident et du Golfe, voit dans le désarmement la condition d'un État moderne et pleinement souverain. De l'autre, une frange significative, notamment issue de la communauté chiite, considère le Hezbollah comme un bouclier vital qui a prouvé son efficacité en 2000 lors du retrait israélien du Sud-Liban et en 2006 face à l'offensive israélienne.
Ce débat sur le désarmement illustre donc non seulement un désaccord stratégique, mais aussi une lutte identitaire et symbolique sur ce que doit être le Liban : un État neutre et maître de ses institutions, ou un pays qui assume son rôle de « front avancé » face à Israël.
L'ombre portée de l'Iran
Le Hezbollah demeure l'un des piliers centraux de la stratégie iranienne dans le Moyen-Orient. L'organisation agit comme un prolongement de la puissance régionale de Téhéran. Depuis sa création au début des années 1980, le mouvement chiite libanais a été pensé comme un outil de projection de l'influence iranienne au-delà de ses frontières. Cette relation s'est consolidée au fil des décennies, au point que l'organisation est désormais considérée par de nombreux analystes comme une véritable « armée inféodée » de l'Iran au Moyen-Orient.
L'acheminement d'armes en constitue un exemple emblématique. Via la Syrie, l'Iran a mis en place un corridor logistique permettant au Hezbollah d'accéder à un arsenal sophistiqué comprenant missiles de précision, drones et systèmes de communication sécurisés. Ce dispositif a pris une importance particulière après la guerre civile syrienne, Damas servant de hub stratégique pour le transfert d'équipements militaires, souvent sous la supervision de la force Qods, branche extérieure des Gardiens de la Révolution islamique. L'effondrement du régime de Bachar el-Assad a mis fin à l'existence de ce corridor indispensable.
La coordination entre le Hezbollah et la force Qods dépasse la simple fourniture d'armes. Les deux entités coopèrent étroitement dans la planification et l'exécution des opérations militaires, qu'il s'agisse d'actions ponctuelles contre Israël ou de déploiements plus larges, comme en Syrie où le Hezbollah a envoyé des milliers de combattants pour soutenir le régime de Bachar al-Assad. Cet engagement a renforcé la stature régionale du mouvement et consolidé la position de l'Iran comme acteur incontournable du conflit syrien.
L'alignement stratégique du Hezbollah sur les objectifs de Téhéran est manifeste. Qu'il s'agisse de contrer l'influence américaine, de contenir Israël ou de soutenir des régimes alliés comme celui de Damas, le mouvement libanais épouse fidèlement la vision régionale des mollahs. Cette convergence idéologique et opérationnelle fait du Hezbollah non seulement un partenaire, mais aussi un relais direct des ambitions géopolitiques de l'Iran.
Comme le résume Karim Sadjadpour, analyste à la Carnegie Endowment : « Le Hezbollah n'est pas seulement un allié de l'Iran, c'est une extension de son appareil de défense avancée ». Cette formule est révélatrice de la nature symbiotique de la relation : pour l'Iran, le Hezbollah constitue une ligne de défense avancée sur le front israélien, une sorte de bouclier et d'épée délocalisés. Pour le Hezbollah, l'Iran est à la fois le principal bailleur, mentor idéologique et garant de sa survie à long terme.
Cette relation symbiotique a fait du Hezbollah un véritable avant-poste iranien au Levant. Pour Téhéran, il s'agit d'une ligne de défense avancée contre Israël ; pour le Hezbollah, l'Iran reste le bailleur, le mentor idéologique et le garant de sa survie.
Le facteur chiite comme clé géopolitique
Depuis la révolution islamique de 1979, le chiisme constitue pour l'Iran un levier géopolitique majeur au Moyen-Orient. Khomeiny, doté d'une conscience politique aiguë, a placé cette dimension religieuse au cœur de sa stratégie régionale. Du Liban à l'Irak, en passant par le Yémen, des mouvements chiites ont été mobilisés comme relais d'influence. Les chiites libanais, historiquement marginalisés et souvent plus proches de l'Iran que du monde arabe, ont vu dans le Hezbollah une forme de reconnaissance et de protection. De même, au Yémen, les Houthis, issus d'un courant chiite zaydite, ont joué un rôle clé en consolidant la présence iranienne face à l'Arabie saoudite. Cette centralité du chiisme explique pourquoi la défaite récente du Hezbollah a constitué une atteinte directe à l'axe iranien dans la région.
Scénarios et perspectives
L'avenir du Hezbollah et du Liban reste profondément incertain. À la lumière des dynamiques observées depuis le cessez-le-feu, plusieurs trajectoires sont envisageables. Chacune présente des opportunités, mais aussi de sérieux risques, et dépend en grande partie de facteurs extérieurs – notamment l'attitude de l'Iran, d'Israël et des puissances régionales.
Scénario 1 : le statu quo prolongé
Dans ce scénario, le Hezbollah conserve l'intégralité de son arsenal militaire, tout en évitant de provoquer une guerre ouverte avec Israël. Ses activités se limiteraient à des démonstrations ponctuelles de force (déploiements symboliques, rhétorique belliqueuse, soutien indirect à des actions en Syrie) sans franchir le seuil d'une confrontation directe.
Ce statu quo, déjà observable depuis plusieurs années, repose sur une logique de dissuasion mutuelle : Israël tolère la présence armée du Hezbollah tant que celui-ci ne franchit pas certaines lignes rouges, et le Hezbollah justifie ses armes par la menace permanente que représente Israël. Cette situation offre une stabilité relative, mais elle est aussi intrinsèquement instable, car un incident local peut rapidement dégénérer en conflit régional.
Scénario 2 : un désarmement partiel négocié
Un deuxième scénario, parfois évoqué par des diplomates, consisterait à intégrer progressivement une partie des combattants et des structures du Hezbollah dans l'armée libanaise, tout en maintenant une forme d'autonomie politique pour le mouvement. Cela permettrait au Liban de renforcer son armée nationale et de donner au Hezbollah une place institutionnelle « officialisée ».
Cependant, un tel scénario est hautement improbable sans garanties régionales solides. Il supposerait :
- Des assurances de sécurité face à Israël, afin de convaincre le Hezbollah de réduire son arsenal.
- Une médiation internationale crédible, probablement sous l'égide de l'ONU.
- Et surtout, un assouplissement de l'influence iranienne, qui voit dans le Hezbollah son avant-poste stratégique.
Sans ces conditions, la perspective d'un désarmement partiel reste davantage théorique que réaliste.
Scénario 3 : l'escalade régionale
Ce scénario verrait une reprise des hostilités ouvertes avec Israël, déclenchée par un incident frontalier. Dans cette hypothèse, le Liban risquerait d'être entraîné malgré lui dans une guerre dévastatrice.
Israël, préoccupé par la capacité balistique du Hezbollah, pourrait décider de mener une campagne militaire massive pour neutraliser ses arsenaux. De son côté, le Hezbollah chercherait à imposer des coûts élevés à Israël en saturant son système de défense antimissiles avec des milliers de roquettes. Une telle escalade aurait des conséquences catastrophiques pour la population libanaise et pour les infrastructures déjà fragilisées par la crise économique.
Scénario 4 : la réorientation politique
Enfin, un quatrième scénario consisterait en une transformation progressive du Hezbollah vers un rôle essentiellement politique et institutionnel, au détriment de sa composante militaire. Cela impliquerait que le mouvement privilégie son intégration dans le système politique libanais et concentre ses efforts sur sa base sociale, son électorat et ses alliances internes.
Ce scénario n'impliquerait pas nécessairement un désarmement complet, mais plutôt un changement de priorité stratégique : l'arme militaire deviendrait secondaire par rapport à l'arme politique. Toutefois, une telle évolution supposerait un contexte régional apaisé et une baisse de la dépendance du Hezbollah vis-à-vis de Téhéran, ce qui semble encore éloigné.
Un point commun à tous les scénarios : la centralité de l'Iran
Quel que soit le chemin suivi, une constante demeure : la fin ou la limitation de l'ingérence iranienne est une condition essentielle à toute solution durable. Tant que le Hezbollah sera perçu comme le bras armé de Téhéran, son désarmement complet restera hors de portée et le Liban continuera de payer le prix de cette projection régionale.
Conclusion
Un an après la trêve,
le Hezbollah reste un acteur militaire surarmé, une force politique influente
et un symbole de résistance pour une partie des Libanais, mais aussi un facteur
de division nationale.
Toute avancée vers le désarmement
dépendra de trois conditions clés :
- Des garanties de sécurité crédibles pour le Liban-Sud.
- Un consensus politique interne.
- Et surtout, une réduction significative de l'ingérence iranienne, condition que beaucoup considèrent comme essentielle mais difficile à obtenir.
* Maceo Ouitana est journaliste et collaborateur de la FEMO