
Législatives irakiennes: un scrutin décisif pour l’avenir politique du pays
Par la rédaction
19 nov 2025
Le 11 novembre 2025, les Irakiens ont voté pour renouveler les 329 sièges du Conseil des représentants. Malgré un climat tendu (crise économique, défiance envers la classe politique, appels au boycott lancés par certains mouvements citoyens), la participation a surpris par son ampleur. Selon Le Monde, elle a été « forte », signe que la population, malgré la lassitude, souhaitait peser sur l'avenir institutionnel du pays.
Dès le lendemain, la liste du Premier ministre sortant Mohammed Chia al-Soudani revendiquait sa victoire, selon les déclarations recueillies par RFI et confirmées par son entourage dans Le Monde. Avant même la publication détaillée des résultats par la Haute Commission électorale indépendante (IHEC), un fait s'imposait : ces élections allaient redessiner l'équilibre des forces chiites, sunnites et kurdes, et définir les contours de la prochaine coalition gouvernementale.
Dans un pays où la fragmentation politique répond à la fragmentation sociale, et où le Parlement reste l'arène où se jouent autant les ambitions partisanes que les influences régionales, ce scrutin revêtait une importance majeure. Il s'agit du premier test électoral depuis la stabilisation relative du pays après les tensions de 2023 - 2024 et les débats interminables sur la souveraineté, la corruption et la présence des milices armées.
Le déroulé du scrutin : forte participation et surveillance renforcée
À rebours des prévisions pessimistes, la mobilisation électorale s'est révélée plus élevée qu'en 2021. Malgré un contexte de désillusion politique, la participation est restée forte : les statistiques officielles indiquent un taux de 55 %, contre 41 % en 2021. Ce regain d'intérêt s'explique par trois facteurs :
- La volonté d'éviter une domination sans partage d'un seul bloc chiite, alors que le Cadre de coordination espérait consolider son emprise.
- L'importance accordée aux enjeux locaux, notamment dans les provinces sunnites et kurdes où les questions de reconstruction, de services publics et de sécurité demeurent prioritaires.
- L'encadrement renforcé de l'IHEC, qui a multiplié les contrôles pour limiter les fraudes et a autorisé la présence d'observateurs internationaux.
Une surveillance électorale inédite
La Haute Commission électorale indépendante a insisté sur la rigueur du processus :
- contrôle strict de la publicité politique et de l'usage des ressources publiques ;
- encadrement des dépenses de campagne ;
- publication des quotas pour minorités ;
- accès facilité aux observateurs nationaux et internationaux ;
- 7 768 candidats validés, dont 2 248 femmes.
Cette transparence accrue répond à la crise de confiance née des élections précédentes, contestées dans la rue et accusées d'être manipulées par les partis les mieux implantés dans l'État.
Une victoire relative pour al-Soudani dans un Parlement éclaté
Le Premier ministre sortant, Mohammed Chia al-Soudani, a revendiqué la victoire dès le 12 novembre, au lendemain des élections législatives. Son alliance « Coalition pour la reconstruction et le développement » arrive en tête avec 46 sièges, selon la Commission électorale. Une performance notable, mais loin des 165 nécessaires pour une majorité absolue. Dans le système irakien, la gouvernance repose sur des coalitions fragiles, et les tractations s'annoncent longues.
Un Parlement plus dispersé malgré un regain de participation
Le scrutin a mobilisé 55 % des électeurs, contre 41 % en 2021, soit près de 12 millions de votants sur 21,4 millions inscrits. Ce rebond est significatif, surtout après l'appel au boycott du leader chiite Moqtada Sadr. Mais la fragmentation parlementaire confirme la tendance à la gouvernance par consensus, au prix de négociations prolongées.
Les blocs chiites : recomposition et rivalités
La scène chiite reste le cœur politique du pays, mais elle se divise en trois pôles :
- Le Mouvement sadriste : toujours influent malgré son retrait officiel, il conserve une base populaire forte dans les quartiers pauvres et un discours anticorruption. Ses candidats se présentent souvent sous des listes indépendantes.
- Le Cadre de coordination : dirigé par Nouri al-Maliki, il regroupe l'Alliance Fatah (Hadi al-Ameri), le Parti Dawa et des factions pro-iraniennes.
- L'alliance d'al-Soudani : positionnée comme un compromis pragmatique, ni sadriste ni totalement alignée sur Téhéran. Ce positionnement explique son succès relatif.
Les forces sunnites : recomposition locale
Dans l'Ouest et le Nord, deux formations dominent :
- Taqaddam (Mohammed al-Halbousi) : parti moderniste, non confessionnel, ancré à Anbar et Ninive (28 sièges).
- Alliance Azm (Muthanna al-Samaraï et Khamis al-Khanjar) : plus traditionnelle, appuyée par des réseaux tribaux.
Les listes locales et indépendantes progressent dans les zones touchées par l'État islamique, où la reconstruction reste prioritaire.
Les partis kurdes : statu quo et rivalité persistante
Au Kurdistan irakien, la compétition reste structurée par :
- PDK (Massoud Barzani) : dominant à Erbil et Dohouk (26 sièges).
- UPK (Bafel Talabani) : influent à Souleimaniyeh (15 sièges).
- Nouvelle Génération : voix protestataire en hausse.
La rivalité PDK-UPK conditionnera leur poids à Bagdad.
Des défis majeurs pour la stabilité
La victoire d'al-Soudani ouvre une phase de tractations où la stabilité dépendra de compromis fragiles. Les enjeux sont considérables :
- Formation du gouvernement dans un contexte de rivalités chiites et kurdes.
- Pressions régionales entre Iran et États-Unis.
- Réponse aux attentes sociales : lutte contre la corruption, chômage, infrastructures défaillantes.
3. Les enjeux profonds du scrutin : souveraineté, sécurité et gouvernance
Au-delà des chiffres, le scrutin législatif irakien est un test de souveraineté. L'Irak tente toujours de desserrer l'étau des influences étrangères. Iran, États-Unis et Turquie restent des acteurs incontournables, pesant sur les équilibres politiques. Les partis proches de Téhéran espéraient consolider leur poids au Parlement, tandis que les formations réformistes, chiites comme sunnites, cherchaient à affirmer une identité politique irakienne autonome. Les Kurdes, eux, voient ces élections comme un levier pour préserver leurs budgets et leurs prérogatives internes.
Une pression sociale héritée des protestations de 2019-2020
Les manifestations qui ont secoué le pays il y a cinq ans ont laissé une empreinte durable. Les électeurs exigent :
- Lutte contre la corruption,
- Réformes administratives,
- Amélioration des services publics (électricité, eau, santé, infrastructures),
- Accès à l'emploi.
Aucun parti ne peut ignorer cette pression, même si la capacité à réformer reste limitée par les rivalités internes et la logique de partage communautaire.
Les enjeux sécuritaires
La sécurité demeure un enjeu majeur :
- résurgence de cellules dormantes de l'État islamique ;
- tensions entre milices chiites ;
- risques de confrontation PDK-UPK au Kurdistan ;
- influence persistante de groupes armés dans certaines provinces.
Les électeurs ont voté aussi pour la stabilité.
4. Lecture politique : ce que révèlent ces élections
1. Une nouvelle compétition au sein du camp chiite
La montée d'al-Soudani modifie l'équilibre :
- les sadristes restent incontournables ;
- le Cadre de coordination reste puissant mais divisé ;
- al-Soudani se positionne comme un pôle modéré, technocratique et national.
Ce triangle chiite déterminera la formation du gouvernement.
2. Le vote sunnite devient plus politique et moins tribal
La progression de Taqaddam traduit :
- une volonté de modernisation ;
- un vote moins soumis aux chefs tribaux ;
- une attente forte de services publics et de reconstruction.
Mais la concurrence avec Azm reste vive.
3. Le Kurdistan reste divisé mais stratégique
PDK et UPK, séparément, ne peuvent peser que s'ils négocient ensemble. Leur fragmentation affaiblit leur influence à Bagdad.
Scénarios de coalition : vers une majorité fragile
Scénario 1 : Coalition autour d'al-Soudani
Le scénario le plus probable reste celui d'une coalition structurée autour de Mohammed Chia al-Soudani. Elle s'appuierait sur son alliance principale, sur des partis sunnites modérés comme Taqaddam, ainsi que sur une participation des grands partis kurdes (PDK et UPK). Cette configuration, déjà expérimentée durant son précédent mandat, offrirait une continuité institutionnelle et un pouvoir exécutif capable de fonctionner, même dans un paysage profondément fragmenté.
Mais cette stabilité apparente cache une réalité plus complexe. Une coalition dominée par al-Soudani serait contrainte d'adopter une ligne d'équilibre face à l'Iran. L'enjeu ne serait pas de renforcer les liens avec Téhéran, mais au contraire de limiter son emprise sans provoquer d'escalade. Depuis vingt ans, l'ingérence iranienne, via les milices, la pression politique et l'influence économique, demeure l'un des principaux facteurs d'affaiblissement de la souveraineté irakienne. Al-Soudani n'aurait pas la possibilité de rompre brutalement avec cette réalité, mais pourrait chercher à réduire progressivement l'espace d'intervention des mollahs, notamment dans les domaines sécuritaire et énergétique.
Une telle coalition bénéficierait toutefois d'appuis parlementaires relativement larges, ce qui faciliterait l'adoption de réformes économiques urgentes. Mais elle devrait également faire face à plusieurs vulnérabilités :
- l'opposition résiduelle du Cadre de coordination, notamment des factions pro-iraniennes hostiles à tout rééquilibrage ;
- une société irakienne impatiente, après vingt ans de corruption systémique et d'infrastructures en ruine ;
- une pression internationale croissante pour mettre fin au rôle des milices chiites et pour stabiliser les politiques étrangères de Bagdad.
Ainsi, même s'il reste le scénario le plus réaliste, un gouvernement construit autour d'al-Soudani ne serait pas synonyme de stabilité durable. Il ouvrirait plutôt une bataille politique délicate pour redéfinir la place de l'Irak entre ses propres aspirations souveraines et l'influence persistante, mais contestée de l'Iran.
Scénario 2 : Un "grand bloc chiite" : une hypothèse théorique, mais peu réaliste
Certains observateurs évoquent régulièrement la possibilité d'un « front chiite unifié » rassemblant le Cadre de coordination et le mouvement sadriste. En théorie, ce scénario pourrait donner naissance à une majorité numériquement puissante, capable de former un gouvernement homogène sur le papier. Mais dans les faits, il demeure l'un des scénarios les plus improbables de la scène politique irakienne.
Le premier obstacle est personnel et politique : Muqtada al-Sadr rejette catégoriquement toute alliance avec Nouri al-Maliki, qu'il accuse d'être responsable de l'effondrement institutionnel et sécuritaire de l'Irak dans les années 2010. Les divergences idéologiques sont profondes : al-Sadr se présente comme un réformateur nationaliste hostile à la corruption et à l'ingérence étrangère, tandis que le Cadre de coordination s'appuie ouvertement sur la protection du régime iranien et sur les réseaux politico-militaires qu'il a installés en Irak.
Un "bloc chiite unifié" renforcerait mécaniquement l'autorité des milices pro-iraniennes et cimenterait l'emprise de Téhéran sur les affaires de Bagdad. Cela irait frontalement à l'encontre de la volonté populaire exprimée depuis 2019 : fin de la corruption, fin des tutelles étrangères, fin de l'impunité des milices. Pour cette raison, ce scénario, même s'il apparaît ponctuellement dans les discours, est moins une option réaliste qu'un outil de pression politique utilisé par certains acteurs.
En résumé, un "grand bloc chiite" serait synonyme de polarisation accrue, de marginalisation des sunnites et des Kurdes, et d'un retour aux tensions violentes des années précédentes. Il reste donc, dans le contexte actuel, une hypothèse théorique, mais incompatible avec l'évolution réelle de la société irakienne.
Scénario 3 – L'impasse politique et le retour de l'instabilité
L'Irak n'est pas étranger aux crises post-électorales prolongées. Si les négociations entre les principaux blocs s'enlisent, un scénario d'impasse institutionnelle pourrait émerger. C'est l'un des risques majeurs du scrutin, compte tenu de la fragmentation du paysage politique et de la défiance persistante entre acteurs chiites, sunnites et kurdes.
Dans ce cas, aucune coalition stable ne parviendrait à s'imposer, ouvrant la voie à un gouvernement techniquement "provisoire" mais politiquement faible. Un cabinet technocratique pourrait être reconduit, sans légitimité électorale claire et sous la pression constante des factions armées, notamment celles proches du régime iranien, qui profitent traditionnellement des périodes de vacance du pouvoir pour renforcer leurs réseaux.
L'absence d'accord politique prolongé risquerait également de provoquer :
- une paralysie budgétaire, au moment où l'économie irakienne a besoin de décisions rapides ;
- une hausse des tensions sécuritaires, notamment dans les zones où l'État demeure fragile ;
- un retour des mobilisations populaires, notamment de la jeunesse qui rejette les compromis politiques internes et l'ingérence iranienne.
Ce scénario d'impasse représenterait une menace directe pour la souveraineté irakienne. Les milices pro-iraniennes y verraient une opportunité pour regagner le terrain perdu ces dernières années, tandis que les partenaires internationaux de l'Irak, États-Unis, ONU, voisins arabes, redoubleraient d'inquiétude face au risque de déstabilisation régionale.
En d'autres termes, un gouvernement fragmenté et instable ne serait pas seulement un échec politique : il serait un retour en arrière dans la construction de l'État irakien, offrant un terrain favorable aux acteurs armés et aux puissances étrangères qui cherchent encore à influencer la trajectoire du pays.
Ce que ces élections changent pour l'avenir de l'Irak
Le scrutin du 11 novembre ne se limite pas à une redistribution de sièges : il redéfinit les rapports de force qui structureront l'Irak pour les années à venir. La victoire revendiquée par Mohammed Shia al-Soudani traduit un mouvement profond au sein de l'opinion. Une large partie des électeurs a choisi des profils pragmatiques, refusant à la fois la paralysie du sectarisme chiite et l'ingérence étrangère, au premier rang desquelles celle du régime iranien, aujourd'hui contestée jusque dans ses propres réseaux. Le rejet des extrêmes, amorcé depuis le soulèvement d'octobre 2019, s'installe comme une constante. L'Irak cherche moins une voie médiane qu'un rééquilibrage national, après des années où les acteurs armés liés à Téhéran imposaient leur agenda.
La Haute Commission électorale indépendante (IHEC) sort renforcée de cette séquence. Sa gestion rigoureuse (contrôle des dépenses, surveillance de la propagande, transparence des listes) a permis de restaurer une part de la confiance publique. Pour la première fois depuis plusieurs cycles électoraux, une majorité d'Irakiens reconnaissent à leurs institutions la capacité d'organiser un scrutin crédible. Cette légitimité nouvelle crée un espace pour des réformes plus ambitieuses : refonte de la loi électorale, renforcement des partis politiques, transparence accrue du financement.
Sur le plan politique, une nouvelle cartographie se dessine. Le camp chiite, bien que majoritaire, n'est plus monolithique : il est traversé par des clivages idéologiques profonds entre réformateurs nationalistes, factions dépendantes de l'Iran et blocs institutionnels plus modérés. Les forces sunnites, en progression, apparaissent moins dispersées qu'auparavant et consolident leur poids dans plusieurs provinces. Quant aux Kurdes, malgré les tensions persistantes entre PDK et UPK, ils restent indispensables à la formation de toute majorité durable.
Mais c'est sur le terrain sécuritaire que le prochain gouvernement devra affronter les défis les plus sensibles. Les milices pro-iraniennes, affaiblies depuis les frappes américaines de 2024 et la chute de leur allié stratégique Hezbollah en 2024, ne disposent plus du même rapport de force qu'auparavant. Leur avenir dépend largement de l'évolution interne du régime iranien : toute crise majeure à Téhéran — économique, politique ou sociale — réduirait encore leur capacité d'action en Irak. Bagdad devra aussi gérer les rivalités entre les forces kurdes, accélérer la reconstruction des provinces sunnites et poursuivre la lutte contre les cellules résiduelles de l'EI dans les zones rurales.
Sans avancées sur ces dossiers, la stabilité restera fragile. Mais si le gouvernement parvient à répondre à ces attentes, la législature qui s'ouvre pourrait marquer un tournant : celui d'un État irakien qui commence enfin à reprendre la main sur ses institutions, ses frontières et son avenir.
Conclusion : un scrutin décisif mais une transition incertaine
Les élections législatives du 11 novembre 2025 constituent un moment politique majeur pour l'Irak. Malgré les appels au boycott et la lassitude généralisée envers la classe politique, la forte participation exprime une vérité essentielle : une grande partie de la population continue de voir dans les urnes un instrument possible, peut-être le dernier, pour reprendre la main sur l'avenir du pays.
La victoire revendiquée par Mohammed Chia al-Soudani illustre ce besoin de stabilité mais aussi une volonté de rééquilibrer les rapports de force au sein du camp chiite. Le nouveau Parlement, plus fragmenté mais plus représentatif, reflète un paysage politique où aucune formation ne peut plus gouverner seule, où les blocs sunnites et kurdes redevenaient arbitres, et où les factions pro-iraniennes ne disposent plus du pouvoir déterminant qu'elles exerçaient encore il y a quelques années.
Mais l'essentiel reste devant :
- la négociation de la coalition, qui déterminera l'équilibre interne du futur gouvernement ;
- la redéfinition des relations avec les partis sunnites et kurdes ;
- la gestion d'une économie exsangue malgré les revenus pétroliers ;
- et surtout la question cruciale des milices, dont le statut ambigu continue de miner la souveraineté irakienne, alors que l'affaiblissement du Hezbollah et les pressions américaines ont fragilisé l'ensemble des mandataires iraniens dans la région.
Ces élections ouvrent une opportunité réelle : celle d'un recentrage national, d'un État qui pourrait enfin reprendre l'initiative et s'affranchir progressivement des influences extérieures qui l'ont paralysé. Mais cette fenêtre reste étroite et instable. Tout dépendra de la capacité des dirigeants irakiens à dépasser les loyautés partisanes, tribales et régionales pour reconstruire des institutions capables de résister aux chocs internes et externes.
L'Irak se trouve devant un choix décisif. Le scrutin du 11 novembre peut être le premier pas vers une stabilisation durable ou le prélude à une nouvelle phase de blocage. Les prochains mois diront si les forces politiques sont prêtes à transformer un vote massif en véritable projet national.
